Procès attentat de Nice : témoignage poignant de Sébastien, chronique de notre envoyé spécial Michel Zerbib

France.

Sebastien quinquagénaire, originaire de Seine-Saint-Denis, est hanté depuis 6 ans par les images des corps déchiquetés sur le sol, les cris des survivants. Il a décidé de témoigner malgré la douleur. « Ce drame, il s’imprègne dans votre personnalité, dans votre chair », a- t- il raconté ce jeudi à la barre la cour d’assises spécialement composée. Car « On n’est pas victime qu’un soir », poursuit-il. Comme d’autres témoins choqués, il a « voulu mourir ». Mais il pense à Emma, une petite fille à qui Sébastien a tenu la main près d’une heure en attendant les secours.

La rencontre avec la petite Emma

A l’époque, Sébastien est en couple avec une femme qui habitait à Nice. Ce soir-là, sa « petite amie » travaille. Plutôt que de rester seul, il descend dans la rue pour regarder le feu d’artifice sur la promenade des Anglais, où s’est massée la foule. « D’un seul coup, sans aucun bruit, il y a cette masse blanche( le camion) qui est passée à côté de moi », raconte-t-il. Le 19 tonnes, conduit par le terroriste Mohamed Lahouaiej-Bouhlel écrase en effet les gens comme dans un mauvais jeu vidéo de massacre. « Tout le monde s’est mis à hurler, à courir. Je suis resté là, j’ai regardé le camion continuer sa route. J’ai tourné la tête et j’ai vu cette petite fille par terre. Je lui ai pris la main et je ne l’ai plus lâchée. » Elle s’appelle Emma, elle a 13 ans. Dans cet attentat, la jeune fille a perdu sa grand-mère, sa tante et le mari de sa tante. Elle est grièvement blessée et souffre de brûlures sur tout le corps. « Elle était dans un état assez grave, j’ai compris que je pourrais la perdre si je la lâchais », raconte Sébastien. Un policier lui « hurle » de se mettre à l’abri. Mais pour Sébastien,  il n’est pas question de lâcher la main d’Emma, la survivante. « A chaque fois que je levais la tête, je voyais des gens morts … Aucun être humain n’est prêt à voir ça. J’ai vu un homme mourir, agoniser, c’est la pire image car j’aurais voulu lui donner la main pour qu’il puisse partir dignement. J’ai appris après que c’était l’oncle d’Emma. » La petite fille « a voulu fermer les yeux, se laisser partir ». Mais Sébastien fait en sorte de la « maintenir consciente », pour ne « pas la perdre ».  Les secouristes, débordés par le nombre important de victimes, vont prendre en charge Emma près d’une heure après .

« J’ai eu la chance de tomber sur Emma »

La jeune fille est transportée à l’hôtel Méridien, qui sert à abriter les rescapés. Sébastien reste une bonne quinzaine de minutes au côté d’Emma qui veut savoir ou se trouve sa famille. Sebastien part à leur recherche mais il va découvrir la tragédie : seule l’une des sœurs aînées de l’adolescente a survécu.  « J’ai voulu croire, pour elle, qu’ils étaient encore en vie. » Il retourne voir Emma, mais un policier l’empêche de rentrer dans l’hôtel par crainte de « surattentat ». « Ça a été un vrai déchirement pour moi, j’ai eu l’impression de l’avoir abandonnée. » Mais heureusement ,deux jours plus tard , il retrouve la jeune fille. « J’ai eu la chance de tomber sur Emma qui s’est battue pour vivre, car si elle était morte ce soir-là, je ne serais pas devant vous », avoue celui qui se bat depuis 6 ans avec une dépression.

S’accrocher à la vie

« Avez-vous réussi à reconstruire une vie personnelle ? » lui demande le président de la cour, Laurent Raviot. « C’est compliqué, répond Sébastien. J’ai perdu beaucoup de choses, les gens ne me comprennent plus, ma petite amie a tenu quatre ans. » « C’est l’enchaînement … Tout s’écroule et vous ne comprenez pas pourquoi. » Aujourd’hui il dit tenter de s’accrocher à la vie et de chasser ses idées de suicide.

« C’est difficile pour elle de raconter ce qui s’est passé »

Sebastien a gardé contact avec Emma qui est devenue comme un membre de sa « famille ». « Je suis heureux de la voir grandir. Elle a eu son bac, avec mention très bien », raconte encore Sébastien comme si c’était sa propre fille « Physiquement, elle est rétablie, à part quelques cicatrices », décrit de son coté à la barre la sœur aînée d’Emma, Dina. Sa cadette, Souad, elle, admet néanmoins que « mentalement c’est encore très compliqué ». Des larmes coulent sur les joues de ces jeunes femmes et dans la salle d’audience, c’est très difficile d’écouter ces témoins déchirants. La petite soeur Emma n’a d’ailleurs pas souhaité venir à Paris pour témoigner au procès. « C’est trop difficile pour elle de raconter ce qui s’est passé. » Et pour toutes les parties civiles, c’est une grande épreuve. Michel Zerbib, envoyé spécial de Radio J au procès

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