Il y a deux semaines, le président Erdogan appelait le président Herzog pour lui présenter ses condoléances après le décès de sa mère. Un geste de courtoisie protocolaire qui n'avait rien d'extraordinaire, même s'il aurait pu se contenter d'adresser un message écrit, comme l'ont fait d'autres chefs d'Etat. Il est vrai qu'il a profité de l'occasion pour convier son homologue israélien à une visite officielle. Et voilà que mardi soir, estimant probablement que la réponse ne venait pas assez vite, Tayyip Erdogan affirmait que le président israélien viendrait prochainement en Turquie. A Jérusalem, le bureau d'Itzhak Herzog s'est refusé à tout commentaire. Ce ne sont pas les premières manœuvres d'approche du président turc. En juillet, il avait félicité Itzhak Herzog pour son élection à la présidence israélienne et en novembre, il avait pris une part active dans la libération du couple de touristes israéliens arrêté à Istanbul, au point que l'on avait pu se demander si l'affaire n'avait pas été délibérément exploitée par le dirigeant turc pour rétablir le contact avec le gouvernement israélien.
Si Erdogan est si désireux de faire oublier plus de dix ans de crise diplomatique avec Israël, qui avait atteint son paroxysme avec l'affaire de la flottille turque pour Gaza en 2010, c'est que le président turc est en très mauvaise posture. L'économie nationale est en pleine déroute avec une inflation record de 63%, la livre turque continue à dévisser et la facture énergétique plombe le déficit public. Tayyip Erdogan a acheté quatre navires d'exploration gazière, qui lui ont déjà permis de découvrir un gisement en mer Noire, mais c'est loin d'être suffisant et il cherche toujours à obtenir une part de la manne énergétique de Méditerranée orientale. Et c'est là que ses intérêts se heurtent à ceux de la Grèce et de Chypre, qui ont de surcroit profité de la crise avec la Turquie pour se rapprocher d'Israël. Seulement voilà, les Etats-Unis viennent de retirer leur soutien au projet EastMed de gazoduc sous-marin qui devait relier Israël, la Grèce et Chypre pour l'acheminement du gaz vers l'Europe. Et Israël pourrait trouver une solution de remplacement en passant par le port turc de Ceyhan, à moins de 500 kilomètres de Haïfa, à la fois pour vendre son gaz à la Turquie et pour poursuivre l'acheminement de ses ventes vers l'Europe.
Ce qui évidemment, ne fait pas du tout les affaires des deux alliés d'Israël en Méditerranée orientale, d'autant que Chypre et la Grèce ont leur propre contentieux avec la Turquie sur le partage des eaux économiques. Sans compter la coopération sécuritaire qui s'est développée depuis une décennie entre les trois pays. Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense, qui recevait d'ailleurs hier à Tel Aviv son homologue grec, a tenu à le rassurer sur la solidité de leurs relations stratégiques, y compris avec Chypre. "Ces relations sont un atout, que je m'engage à consolider et à renforcer" a affirmé Benny Gantz.
Dans le même temps, un rapprochement avec la Turquie pourrait donner à Israël un accès de plus au Hamas, qui bénéficie toujours de la protection et de l'hospitalité d'Erdogan. Mais à Jérusalem, on n'oublie pas que le président islamiste a profondément ancré le sentiment anti-israélien dans l'opinion turque et qu'un virage à 180 degrés semble très improbable. Alors, il reste à jongler avec les deux. Avancer vers la Turquie, sans fâcher la Grèce et Chypre.
Pascale Zonszain
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