La cour d'assises spéciale a interrogé l'accusé Mohammed Amri, jugé notamment pour être allé chercher Salah Abdeslam à Paris dans la nuit des attentats, et de l'avoir rapatrié à Bruxelles. L’a-t-il fait par radicalisation ou par faiblesse et amitié ? C’est aussi à cette question à laquelle s’est attachée la Cour antiterroriste
Dans le box, Mohamed Amri va se défendre d’emblée de toute radicalisation : "Je n’ai jamais eu l’idée d’aller en Syrie. Et je ne m’intéressais pas à ceux qui voulaient y aller." "Je condamne toute forme de violence."
N’avait-il pas appris qu’en février 2015, Brahim Abdeslam s’était rendu en Syrie, dans les rangs de Daech, alors que lui-même fréquentait Les Béguines, café principalement géré par Brahim Abdeslam (qui se fera exploser à l’une des terrasses le 13 novembre) ?
N’a-t-il vraiment pas vu Brahim Abdeslam et d’autres regarder des vidéos de Daesh à l’intérieur du café ?
Amri finit par dire "Peut-être que je l’ai vu regarder des vidéos de prêches ou de combats. Mais moi, je ne les regardais pas. Je ne me souviens pas précisément quelles étaient ces vidéos."
L’accusé affirme qu’il n’avait même pas remarqué la radicalisation de Brahim Abdeslam.
L’un des avocats généraux est étonné : "Brahim Abdeslam ne faisait visiblement pas grand mystère de son départ en Syrie…" Selon le témoignage d’un autre accusé, la vidéo de l’exécution d’un pilote jordanien par Daech était par ailleurs tranquillement diffusée dans le café. "La vérité, M. l’avocat général…" "La vérité, vous ne cessez de répéter ce mot. Mais la vérité, dites-la nous", l’interrompt le magistrat très agacé.
Sur des recherches liées au djihadisme retrouvées sur le smartphone de l’accusé. "La vérité, je ne m’en souviens pas…", répond-il comme un mauvais sketch ! Me Virginie Le Roy, avocate de nombreuses parties civiles, résume : "J’ai l’impression que dans ce café concernant la religion, la Syrie, la parole était assez libre. Qu’il n’y avait plus de filtre…", "la vérité non je n’ai pas cette impression…"
Mais la cour veut apprendre quelque chose et va interroger le père et l’épouse de l’accusé. "C’est quelqu’un de très gentil. Il a travaillé avec moi au service social de Bruxelles". Son père en est sûr : Mohamed a toujours été "loin de la radicalisation. Mon fils s’est fait avoir sans le savoir." Salah Abdeslam, c’est un criminel, un tueur. Mon fils n’est pas comme lui." Quelques instants plus tard, Me Ronen, l’avocate de Salah Abdeslam dit au père "vous avez vu ca dans les médias."
L'épouse de Mohamed Amri convertie à l’islam et voilée, confirme, elle aussi, que son mari est serviable. "Avec tout le monde. Je trouve ça incroyable. Pour des affaires de stupéfiants, cela ne m’aurait pas étonné qu’il se fasse arrêter. Mais pour du terrorisme…", lâche-t-elle en pleurs.
Les avocats des parties civiles ont néanmoins des doutes sur ce que savait cette femme. Elle ne connaissait pas, par exemple, les amis de son mari. Elle avait appris par hasard qu’il travaillait au noir au café Les Béguines. Elle n’a su également qu’après l’arrestation de son époux (dans l’après-midi du 14 novembre 2015) qu’il était allé chercher Salah Abdeslam à Paris, la nuit précédente. Me Dewavrin très directement lui dit que personne ne peut la croire.
Me Eskenazi, avocat belge de la défense ironise. "Le 14 novembre, je n’ai pas parlé des attentats avec ma femme. Est-ce que je vais devoir faire amende honorable ?". Humour qui ne fait rire que lui. Me Haeri, avocate de Mohamed Amri, "peut-on imaginer que votre mari, sachant qu’il venait de commettre une erreur (être allé chercher Salah Abdeslam), ne vous en ait pas parlé par honte ou pour vous protéger ? ». Oui, répond son épouse. Au terme de cette audience, peut-encore parler de Taqqya pour Mohamed Amri.
Un avocat de parties civiles finit par demander alors à l’accusé si Salah Abdeslam, aujourd’hui encore, restait son ami ? "Je sais que je suis là à cause de lui. Je suis prêt à pardonner" mais "C’est compliqué."
Michel Zerbib
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