Chouaa est d’ailleurs l’un de ces trois accusés que l’on voit arriver chaque jour libre au palais de justice puis dans la salle d’audience, boire un café aux suspensions sur les marches du palais de justice, bien que toujours un peu à l’écart des professionnels et parties civiles. Abdellah Chouaa a été donc l’un des trois accusés à comparaître libre à cette audience, installé sur un strapontin, juste devant l’immense box vitré.
A la barre ce Belgo-marocain de 40 ans s’avance pour s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés - principalement le fait d’avoir accompagné l’accusé Mohamed Abrini à l’aéroport lors de son séjour en Syrie - mais aussi sur son éventuelle radicalisation. Mais aussi celle de son père.
Il faut dire le père de l’accusé Chouaa a été dénoncé, à la police comme dans les médias, par son ex-femme comme salafiste radical incitant des jeunes à partir faire le djihad.
Mais devant la cour l’accusé, son ex-femme et son épouse actuelle, jeune blonde se sont inscrits en faux sur cette accusation .
Quant à Chouaa lui-même, "il est musulman mais ne pratique pas", a expliqué encore sa femme qui voit un jour les forces de l’ordre débouler dans leur appartement alors qu’elle est enceinte de six mois.
Au contraire, l’accusé lui même a même dénoncé, en mai 2014, à la police son propre frère qu’il soupçonnait, à raison d’ailleurs, de vouloir partir en Syrie.
L’avocat général Nicolas Le Bris "Quels éléments vous ont conduit à le dénoncer?" "D’un coup, il change de tenue, il prie plus. Comme il y en avait beaucoup dans le quartier qui partait en Syrie, j'ai eu peur, je me suis dit : il est en train de se radicaliser. Et puis un jour j'avais plus de nouvelles. Alors j'ai décidé d'aller au commissariat. Je me suis dit que je préférais le voir en prison que mort en Syrie."
"Mohamed Abrini ne m'a jamais montré qu'il était radicalisé. A l'époque, il aimait faire la fête, l'argent. Tous les jeudis, on allait en soirée salsa", répond Abdellah Chouaa. "Ce n'est pas le même que celui qui est ici. Je ne le reconnais plus."
Mohamed Abrini qu’il accompagne donc à l’aéroport en juin 2015 pour un départ en Turquie, qui s’avèrera être un séjour en Syrie, dans les rangs de Daech. Abdellah Chouaa l’ ignorait totalement "Il me dit qu'il part en Turquie voir sa copine." C’est une fois Mohamed Abrini parti qu’Abdellah Chouaa apprend que son copain s’est en réalité rendu en Syrie. Abdellah Chouaa est en colère, lui en veut beaucoup. Refuse de lui parler au téléphone.
Pourtant, il va le chercher à Paris lorsqu’il revient. "Il m’a appelé d’Angleterre, il m’a assuré qu’il n’était pas partie en Syrie". Abdellah Chouaa le croit. Il est "content qu’il revienne. Quand on part en Syrie, on ne revient pas." Alors Abdellah Chouaa continue à croire son ami, dit-il. À ne rien déceler de sa radicalisation, pas même lorsque celui-ci regarde des vidéos djihadistes depuis son ordinateur. "Certes, j'ai déjà vu Mohamed Abrini regarder ces vidéos mais il regardait son petit frère", Souleimane Abrini, parti rejoindre Daech début 2014 et mort sur zone quelques mois plus tard.
Chouaa, père de deux enfants, et son épouse est persuadée qu’il a "été utilisé comme un pion". Elle nous apprend que lorsqu’il rentre à Bruxelles à la fin de la semaine "fait les marchés pour payer les trajets", Mohamed Abrini était cet ami qui "aimait le casino, les filles, la fête …" Il s’interrompt soudainement et pleure derrière son masque. "Il n’avait aucune pratique de la religion. Je lui faisais confiance. Et c'est à cause de lui que je suis ici. J'espère qu'il s'en rendra compte. Parce que j'ai rien demandé moi."
La semaine sera consacrée à la suite des interrogatoires d'accusés avec notamment Sofien Ayari et Salah Abdeslam.
Michel Zerbib
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