Une audience passionnante et inquiétante que celle de l’audition de cet accusé et nous commencerons aujourd’hui par la fin , je cite : "Il y a eu (en octobre et en novembre dernier) cinq semaines de témoignages. Il y a eu des gens en colère et il y a eu une question qui est revenue souvent : "Qu’est-ce qui se passe dans la tête de quelqu’un pour qu’il parte de chez lui et qu’il aille vers un pays en guerre ?" Une femme est venue – elle ressemblait beaucoup à ma mère. Elle a dit qu’elle avait perdu sa fille, mais qu’elle nous imaginait comme des anges qui étaient arrivés ensuite ici, qu’elle voulait comprendre. Sa seule demande, c’était de savoir ce qu’il se passait dans ma tête. J’ai trouvé que je lui devais ça. Si c’est tout ce qu’elle demande, je vais le faire. Ça ne lui rendra pas sa fille. Mais c’est la seule chose que je peux faire."
Celui qui parle ainsi depuis le box des accusés se nomme Sofien Ayari, un Tunisien de 28 ans, arrêté en même temps que Salah Abdeslam. Son ADN a été retrouvé dans plusieurs planques des terroristes en Belgique. Il est soupçonné d’avoir voulu viser l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, le 13 novembre. Un projet finalement avorté, on ne sait pourquoi. Egalement suspecté d’association de malfaiteurs terroriste dans le volet français, Sofien Ayari évoquait jusque-là son départ vers la Syrie en décembre 2014 comme un vague projet et nié avoir voulu rejoindre les rangs de l’Etat islamique . Athlétique , la barbe fournie , l’homme est intelligent voire très intelligent et parle un français excellent (un traducteur à ses cotés ne sert à rien).
Ayari était étudiant quand il a rejoint l’État islamique (EI) en Syrie, courant décembre 2014. Il a combattu entre Homs et Palmyre. Gravement blessé à la mâchoire par une balle , il a été évacué à Raqqa. En Syrie , il a combattu et vu la mort autour de lui sur les champs de bataille. Mais , dit il "n’a pas supporté le spectacle des populations civiles fuyant les bombardements de la coalition internationale".
«Quand on part pour combattre, c’est un choix et si on meurt, on paye les conséquences de ce choix. Mais quand on voit ces gens (les civils) courir, même si tous n’étaient pas d’accord avec l’EI, on se sent rabaissé. Je l’ai vécu très difficilement. Je ne me suis jamais senti aussi humilié et en colère qu’à Raqqa. Là, on m’a dit qu’on aurait besoin de moi ailleurs. Je suis parti pour l’Europe, personne ne m’y a forcé, je ne me suis jamais senti menacé.»
Sofien Ayari quitte la Syrie avec Osama Krayem qui, comme lui, encourt la perpétuité. ils sont passés par la Grèce pour remonter jusqu’en Allemagne se fondant dans le flot de migrants . Il affirme , qui peut le croire , qu’il ne connaissait pas sa MISSION. Le président de la cour d’assises spéciale Jean-Louis Périès lui pose la question, on se sait jamais, « Vous partez pour combattre ? », demande-t-il. « C’est la seule chose que je pouvais faire, répond Ayari. Ça ne veut pas dire que c’était le bon choix, mais c’est ça qui m’a guidé. […] Quand on part sur une zone de guerre, on a un imaginaire. Après, on réalise. On mesure. Il y a des tirs de kalachnikov C’est fort, violent. » Il se dit clairement ni manipulé ni irresponsable « J’ai pris la décision seul. » Et quand l’Etat islamique l’a renvoyé en Europe, c’était bien pour « une mission ».
Même si Sofien Ayari le réaffirme "non ce n’était pas nécessairement pour un attentat. Même sur zone, on n’a pas toutes les informations dès le départ. On part pour une mission d’attaque, mais on change. »
Mais, rappelle le président, tous les membres des commandos du 13-Novembre avaient reçu un entraînement sur place et ont accepté de partir "pour une action violente". Malgré ce rappel, Sofien Ayari maintient sa version. Et surtout il refuse de dire le nom complet de son commanditaire. Il se borne à « Abou… quelque chose », ce qui est bien court pour une kunya, le nom de guerre au sein de l’Etat islamique.
« Est-ce que vous condamnez les attentats ? », interroge le président Périès. « Je condamne ce genre de choses mais il faut que ce soit des deux côtés. C’est un secret pour personne de dire que des civils sont tombés là-bas. Je ne me suis jamais senti aussi humilié qu’en étant à Raqqa, voyant des gens courir sans savoir ce qu’il leur arrivait [au moment des bombardements]. Ça m’a choqué. Ça a été impactant pour moi. » Il défend la thèse des attentats conçus dès 2014 comme une vengeance anticipée pour des frappes qui auront lieu en septembre 2015. Alambiqué. Mais c’est vrai qu’il n’est pas question de religion dans son parcours.
Pour la partie civile, Me Sylvie Topaloff en fait la remarque: « Partir en Syrie, c’était politique ou religieux ? » L’accusé n’explique pas le nombre élevé de jeunes Tunisiens partis comme lui vers l’Etat islamique « J’ai dit que j’y suis allé pour la population. C’est vous qui ramenez toujours tout à l’islam. »
Gérard Chemla , lui , évoque des familles victimes qu’il représente qui sont présentes sur les bancs de la salle . Elles veulent dit leur avocat "dire leur soulagement qu’il ait parlé". Elles ont pris cela "comme une marque de respect", et ce, "quel qu’ait été le contenu de ses réponses".
Je dirais pour ma part qu’il aura fait montre d’habilité, d’élocution rouée et une décontraction associée à une intelligence plutôt inquiétante.
Michel Zerbib
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