La notion de radicalisation n’a pas la même acception selon que vous trouvez sur le banc des accusés ou celui des parties civiles et la défense s’est évertuée à faire de ses clients des gens peu ou pas fanatisés .
Vendredi c’est d'abord la sœur d’Asufi qui vient témoigner . En fait elle apparaît plutôt sur les écrans de la salle d'audience. Elle est en visio, depuis Bruxelles, filmée dans un bureau du parquet fédéral belge. Elle ne veut pas que la presse divulgue son prénom. La sœur de Ali El Haddad Asufi prend la parole timidement : "Je voudrais dire que je compatis à la douleur des familles des victimes, que je soutiens mon frère, que je l'aime." Fin de la déclaration spontanée. Alors le président commence à la questionner
Quel est le caractère de l'accusé El Haddad Asufi, jugé notamment pour avoir cherché à se procurer des armes ?
"Jovial, qui aime les gens, qui aime rire, généreux aussi", répond-elle. Elle voyait son frère Ali chaque jour, mais, dit elle , n'a jamais parlé avec lui, ni de Syrie, ni de politique, n'a jamais observé non plus de comportement religieux rigoriste. Elle ne savait pas qu'il fréquentait des criminels comme l'un des frères El Bakraoui, l'un des logisticiens en chef du 13-Novembre.
Le président invite l'accusé Ali El Haddad Asufi, 37 ans, à se lever. . Première question sur la religion. "Bah, pratique normale, ça peut s'intensifier à la perte d'un proche, c'est tout, normal"
Le président lui demande ensuite quelle est sa vision de l'Etat islamique aujourd'hui ? "Aujourd'hui, ben j'en pense un peu la même chose que vous, comme tout le monde, c'est un peu une pratique rigoriste de l'islam, c'est pas comme ça qu'on m'a éduqué sur la pratique religieuse, tout ça, voilà quoi !", répond-il.
Le président lui rappelle ses anciens propos "Vous aviez déclaré : Je ne suis pas d'accord de trancher des gorges, c'est bien ça ?" L’accusé opine de la tête. "En fait, c'était tellement violent, je me disais c'est pas possible que y ait des êtres humains qui réagissent comme ça !"
La cour lui demande si beaucoup de gens sont partis en Syrie autour de lui ? Il assure que non, car son quartier à Bruxelles, c'est Schaerbeek, pas Molenbeek, où habitaient plusieurs co-accusés et kamikazes du 13-Novembre.
Les magistrats enchaînent les questions, cherchent à savoir si cet homme, qui travaillait à l'aéroport de Zaventem, en Belgique, a pu faire partie de la cellule terroriste franco-belge, comme son ami Ibrahim El Bakraoui. Ali El Haddad Asufi reconnaît qu'il est allé 41 fois en prison rendre visite à ce copain qui avait été condamné pour des affaires criminelles de droit commun. Mais il jure que jamais, il n'a perçu la moindre radicalisation religieuse. Et il lance pour preuve cette phrase : "Il était pas radicalisé, il avait des pantalons classiques, des chaussures vernies, il se faisait des brushings, c'était une coiffeuse, en fait !"
Les parties civiles lui mettent sous le nez des indices embarrassants. Par exemple, des déclarations anciennes devant des enquêteurs, lors desquelles Ali El Haddad Asufi affirmait s'être aperçu d'un changement d'Ibrahim El Bakraoui, à propos de l'islam. Mais dans son box, il répète qu'il n'a perçu aucune radicalisation poussant son ami à aller en Syrie. Ainsi, il assure que lorsqu'il l'a accompagné à l'aéroport pour un départ vers la Turquie, en juin 2015, il ne se doutait pas une seconde que la destination finale pouvait être la Syrie.
D'ailleurs, Ibrahim El Bakraoui ne tarde pas à rentrer de Turquie. Mais veut repartir presque aussitôt en Grèce, voyage express avec un faux passeport et El Haddad Asufi avec lui. Dans son box, El Haddad Asufi s’embrouille et affirme qu'il était là juste pour être utile avec sa carte d'identité belge, mais que sinon ce voyage ne l'arrangeait pas. Et il n'aurait pas vu Abdelhamid Abaaoud, qui se trouvait lui aussi en Grèce à cette période estivale, pour ouvrir la route aux commandos du 13 novembre 2015.
Me Topaloff lui demande s'il considère avoir été trahi par Ibrahim El Bakraoui ?( Précisons que l'on ne le juge pas à ce procès, puisqu'il est mort dans les attentats du Bruxelles le 22 mars 2016 ); on juge en revanche ses cousins, Yassine Atar dans le box et Oussama Atar présumé mort en Syrie.
"Oui, j’ai été trahi. C’était un ami. Je l’appréciais, je pensais à une amitié sincère. Et quand on voit après ce qui s’est passé, bien sûr qu’on est trahi. On se sent un peu humilié. On se sent bête, voilà"
Sur les bancs de la défense, les trois avocats d'Ali El Haddad Asufi piaffent et font ce qu’ils peuvent pour prouver son innocence. Me Menya Arab-Tigrine lui rappelle qu'il avait été interpellé le 24 mars 2016, deux jours après les attentats à Bruxelles, "vous alliez chez le psy" !
Al El Haddad Asufi précise que ce rendez-vous chez le psychiatre, c'était parce qu'il avait été choqué par les attentats qu'il avait lui-même vus, à l'aéroport de Zaventem où il travaillait.
"Vous avez été témoin des explosions, alors dites-nous, c'est quoi pour vous ce qu'il a fait Ibrahim El Bakraoui ?"L'avocate espère sans doute une réponse spontanée, mais l'accusé Ali El Haddad Asufi ne comprend pas la perche tendue . Elle insiste. Il finit par lâcher, "ben, c'est écœurant". Pas un mot de plus. Puis Me Martin Méchin s'écrie que son client est "innocent !" Ben voyons comme dirait l’autre !
Michel Zerbib
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.