Inimaginable intellectuellement, inconcevable techniquement a priori, la méthode de transfert de matière fécale (TMF) est à présent pratiquée dans de nombreux pays dans le monde et dans quelques dizaines d’établissements hospitaliers en France avec des résultats séduisants.
La microbiote, c’est l’ensemble des micro-organismes vivant dans le tube digestif. Composé majoritairement de bactéries, il est spécifique de chaque individu, évolue tout au long de la vie, très dépendant de l’environnement et de l’hygiène de vie. Ses fonctions sont multiples : protectrices, nutritives, immunitaires, métaboliques. Lorsque sa composition est altérée, on parle de dysbiose, à l’origine de troubles divers et de nombreuses maladies et pathologies. Le TMF est un procédé très simple même s’il est stupéfiant et peu ragoutant à l’énoncé. Il consiste à administrer au malade, les bactéries intestinales, issues du microbiote d’un donneur sain. Les selles de ce dernier sont traitées-homogénéisées, filtrées, dégazéifiées puis conditionnées- par des pharmaciens ou des préparateurs qualifiés. Ceux-ci en prélèvent ensuite 50 à 100 g, y ajoutent du chlorure de sodium et du glycérol. Ils mixent le mélange qu’ils filtrent et qu’ils recueillent dans une poche à lavement. La préparation est ensuite injectée par voie haute (sonde naso-duodénale ou fibroscopie) ou basse (coloscopie). L’ingestion à présent orale de gélules congelées très concentrées facilite grandement l’administration et l’acceptabilité et permet d’apporter un grand nombre de bactéries variées et plus seulement quelques milliards (1 à 10 généralement par dose) de bactéries provenant de 2-3 souches, comme c’est le cas avec les probiotiques de pharmacie.
Ca n'est pas récent, des textes anciens (IVème siècle de notre ère) nous apprennent que l’ingestion de selles fraîches ou fermentées a déjà sa place en Chine, à côté des clystères, pour soigner les toxi-infections alimentaires. Et plus près de nous, pendant la 2ème guerre mondiale, certains corps d’armées qui luttent en Afrique absorbent des selles de chameaux séchées pour lutter contre les dysenteries qui leur broient les intestins et les déciment. Le transfert proprement dit est mis en œuvre empiriquement et marginalement aux USA à la fin des années 1950. Il trouve ses lettres de noblesse en 2013 grâce aux travaux d’une équipe hollandaise. Il est introduit en France en 2014 où il se répand progressivement dans les CHU. Au total, plusieurs milliers de personnes dans le monde, dont bien sûr des Français, en ont déjà bénéficié.
La seule indication reconnue en France est pour le moment la gravissime infection à Clostridium difficile, due à des antibiotiques qui ont perforé l’intestin et entrainé une péritonite. Elle survient plus volontiers chez des patients fragiles, âgés, souvent hospitalisés ou institutionnalisés, sous traitements lourds (immuno ou chimiothérapie). Son taux de mortalité, très élevé malgré les divers traitements proposés, guérit dans 80-90% des cas avec le TMF. Et si ça n’est pas le cas, un 2ème transfert voire un 3ème peuvent être proposés pour obtenir ou parfaire le résultat.
D’autres applications, les MICI (Crohn, rectocolite hémorragique), les TFI, les maladies métaboliques (DT2) et auto-immunes, l’obésité, les troubles neuro-psychiatriques, les maladies chroniques hépatiques (Nash)… sont pour le moment expérimentales, dans des protocoles de recherche.
Nous ne sommes qu’au tout début de l’aventure, le champ paraît ouvert et prometteur dès que nous pourrons disposer de bactéries choisies à la carte, sécures et standardisées et que nous aurons l’assurance d’une totale innocuité à long terme de cette méthode qu’un ancien président aurait vraiment pu qualifier d’abracadabrantesque.
Docteur Serge Rafal
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