L'Europe, 80 ans après la mort d'un Européen, la chronique de Guy Konopnicki

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L'Europe, 80 ans après la mort d'un Européen, la chronique de Guy Konopnicki
(Crédit : DR)

Il y a quatre-vingts ans, le 22 février 1942, un grand écrivain européen, né dans un empire que l’on croyait immuable, se suicidait au Brésil où il s’était exilé… Le hasard de l’histoire a voulu l’anniversaire de la mort de Stefan Zweig coïncide avec le coup de force de Vladimir Poutine sur deux régions d’Ukraine…

Zweig se vivait comme un Européen. Il avait grandi dans une capitale brillante, Vienne, et, lors de ses séjours à Berlin et à Paris, il avait aperçu le potentiel d’une Europe de la culture et du progrès, à l’aube du XXème siècle, quand l’électricité illuminait les villes, quand le chemin de fer et les bateaux à vapeur du Danube abolissaient les distances…

Au Brésil, peu avant son suicide, il fit ce terrible constat : « le nationalisme, cette pestilence des pestilences, a détruit la fleur de la culture européenne ».

Il ne pensait pas seulement au nazisme, qui avait livré ses livres aux flammes des bûchers et l’avait contraint à quitter l’Europe, le renvoyant à son origine juive. Il pensait aussi à la guerre précédente, celle de 1914, il avait été l’un des rares intellectuels à ne pas céder à la folie nationaliste, et avait choisi de s’exiler une première fois. Les nationalismes plongeaient l’Europe dans la barbarie d’une guerre, qui allait engendrer deux monstres.

Zweig fut d’une extraordinaire lucidité face à l’un et à l’autre. 

80 ans après sa mort, les peuples d’Europe s’accrochent chacun à une chimère nationale, et jamais l’Europe n’a été si peu européenne. On a effacé des frontières administratives et marchandes, unifié la monnaie, édicté une quantité phénoménale de règles communes, élu un parlement européen. Mais il n’y a pas communauté de culture, au mieux quelques coproductions et des échanges universitaires. Chacun pense chez lui, en suivant parfois des courants mondialisés, sachant qu’il est plus important pour un artiste ou un écrivain d’être reconnu aux États-Unis que dans un autre pays d’Europe.

Tout le monde aujourd’hui pleure l’incapacité de l’Europe a assumer sa défense, à conjurer une guerre. L’affaire ukrainienne se joue entre la Russie et les États-Unis. Le président français, assurant la présidence de l’Union Européenne, tente bien de ramener la raison, mais il ne dispose pas d’une force européenne distincte de l’OTAN, et il ne peut même pas brandir la menace de sanctions économiques, tant les intérêts des pays européens divergent…

Il n’est de défense sans un imaginaire commun. Une culture commune. Le rêve de Stefan Zweig s’est évanoui depuis longtemps, il n’y a pas d’Européens, mais des Français, des Allemands, des Italiens, des Hongrois, des Polonais, sans parler des Britanniques… L’onde de choc du Brexit a renforcé tous les nationalismes, les petits comme les grands.

La campagne électorale française en atteste. C’est à qui déploiera le plus grand drapeau tricolore. Comme ce fut souvent le cas dans l’histoire, ceux qui n’ont de cesse de poser en sauveurs de la patrie sont les premiers à se coucher… Éric Zemmour, condamne pour la forme le coup de force de Poutine, en ajoutant aussitôt que les sanctions économiques seraient contraires aux intérêts de la France… Tiens donc !  Marine Le Pen n’est pas en reste, qui appelle à dialoguer avec Poutine. Il est vrai que l’autocrate hongrois Victor Orban, mentor commun de Zemmour et Le Pen refuse de participer à toute décision européenne qui pénaliserait la Russie, avec laquelle il a scellé quelques accords économiques.

Cependant Mélenchon n’est pas bien loin, qui renvoie dos à dos les belligérants et accuse Macron de n’avoir pas réussi à convaincre Poutine de ne pas reconnaître l’indépendance des territoires arrachés à l’Ukraine.

Il faut dire que le droit international dont on se gargarise est bien fragile, quand il s’agit du respect de frontières reconnues à la hâte en 1992, quand celles de l’Ukraine ont été dessinées unilatéralement à l’époque de l’URSS. Mais ce n’est pas le problème principal. L’Union Européenne n’a pas la cohésion et les forces nécessaires pour peser dans une négociation.

Emmanuel Macron aura essayé de rendre la présidence française effective, sans être jamais certain de représenter l’Union Européenne, quand il parle avec Poutine et Biden, ou même avec le président ukrainien Zelinski.

Ceux qui préconisent le repli de la France sur elle-même se réjouissent de cet échec, bienvenu en ces temps électoraux.

Le nationalisme prospère toujours quand la France échoue, il espère que les électeurs choisiront de l’abaisser encore plus, en l’isolant du reste de l’Europe.

Stefan Zweig, savait, lui, à quoi menaient les nationalismes, il avait vu l’Europe par deux fois ravagée, et il ne l’a pas supporté.

Guy Konopnicki

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