24 mars: la guerre en Ukraine dure depuis un mois. Ceux qui imaginaient que l’armée ukrainienne résisterait aussi longtemps à la machine militaire russe étaient rares, et assurément Vladimir Poutine n’en faisait pas partie.
Le monde où nous avons vécu jusqu’au 24 février, c’est déjà le monde d’hier, celui où l’idée d’une guerre en Europe était sortie de notre imaginaire.
Le monde où nous entrons, c’est celui d’avant-hier, là où la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, sauf que Clausewitz, le grand théoricien de la guerre et l’auteur de cette phrase, ignorait le nucléaire.
La Russie a engagé en Ukraine une guerre épouvantable sous un de ces prétextes fumeux, mais indémodables que mettent en avant les autocrates narcissiques (c’est un pléonasme), à savoir l’humiliation qu’on leur a infligée dans le passé et le besoin d’empêcher une agression dans le futur.
Volodymir Zelensky incarne son pays. J’admire sa réponse churchillienne aux Américains qui voulaient le mettre à l’abri: il demandait des armes et pas un taxi.
On dit qu’il a gagné la guerre médiatique et que Poutine est incapable de gagner la guerre militaire. Je ne sais pas. En tous cas, les meilleurs peuvent avoir des défaillances….
Zelensky a parlé de Pearl Harbour, de Martin Luther King et de leadership du monde libre aux sénateurs américains, du Mur de Berlin aux Allemands, de Hamlet et de Churchill aux Anglais, de la grandeur de Rome aux Italiens et aux Français de Verdun et de Belmondo. Tout cela ne mange pas de pain…
Devant la Knesset, il a cité Golda Meir, « nous voulons vivre, mais nos voisins veulent nous voir morts, ce qui ne laisse guère de place au compromis ». La même Golda dont les premiers souvenirs d’enfance à Kiev étaient ceux de son père barricadant leur maison dans la crainte d’un pogrom venu des voisins….
Puis il a comparé la menace sur l’Ukraine à celle qui pesait sur les Juifs pendant la guerre. Mais les Juifs ne possédaient pas la moindre arme de défense, et les Ukrainiens, aussi dramatique que soit leur situation, ne sont pas menacés d’une extermination physique totale.
Surtout, il a parlé de l’Ukraine comme d’une nation de sauveurs de Juifs. De fait, elle a reçu de Yad Vashem le quatrième contingent national de médailles de Justes après la Pologne, les Pays Bas et la France. Mais comment Zelensky a-t-il pu passer sous silence l’antisémitisme forcené des nationalistes ukrainiens, les régiments SS ukrainiens et les gardiens ukrainiens des camps d’extermination? Demander à Israël de se conduire envers l’Ukraine aujourd’hui comme les Ukrainiens se sont conduits envers les Juifs pendant la guerre n’était pas particulièrement subtil….
Les observateurs soulignent que le patriotisme ukrainien d’aujourd’hui dont il est le vivant symbole n’a plus rien à voir avec l’ultranationalisme antisémite. Cela me semble certain. Certains disent que même dans le bataillon d’Azov, qui a été fondé par des néo-nazis, cette idéologie est aujourd’hui marginale. Espérons-le.
Mais pourquoi Zelensky a-t-il tenu à la Knesset un discours révisionniste aberrant, contre productif et indigne de sa réputation de pro de la com politique? Probablement lui aussi est-il tombé dans le piège de la personnalisation de ses apparitions médiatiques jusque-là très efficaces et s’est-il abstenu de demander avis à ceux qui auraient pu le conseiller sur les arguments à tenir et à ne pas tenir. La pression du combat et l’habitude du succès durcissent les attitudes et effacent les nuances. A sa façon, et sans le comparer à Poutine, Zelensky le démocrate ne paie-t-il pas aussi la tentation de l’hubris qui obscurcit la lucidité?
Les ennemis d’Israël se partagent entre les soutiens déclarés de la Russie et les soutiens hypocrites de la résistance ukrainienne comparée à celle du peuple palestinien. Tous regrettent que les sanctions appliquées à la Russie ne soient pas dirigées aussi contre Israël, comme si le comportement d’Israël avait quoi que ce soit de commun avec le comportement de la Russie. Mais les comparaisons permettent d’agiter l’accusation du « deux poids, deux mesures » à laquelle le politiquement correct réagit au quart de tour.
Il y avait pourtant une autre comparaison que Zelensky aurait pu faire, qu’il a failli faire et qui aurait mieux parlé au coeur des députés israéliens. Les Ukrainiens luttent contre un adversaire qui prétend que l’Ukraine n’existe pas. Les Israéliens luttent contre des ennemis qui refusent d’écrire le nom d’Israël sur leurs cartes. Ukrainiens et Israéliens ont de quoi se comprendre….
Richard Prasquier
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