On ouvrira cette chronique par une citation : "La mémoire de la Shoah servira de leçon et d'avertissement seulement si elle demeure intacte, et sans aucune omission. Malheureusement, aujourd'hui, la mémoire de la guerre et de ses enseignements est souvent assujettie à la situation politique du moment. C'est totalement inacceptable. Il est du devoir des politiciens actuels et à venir, des chefs d'Etat et des personnalités publiques de protéger la réputation des héros morts, des civils et des victimes des nazis et de leurs alliés." En conscience, on voit mal comment ne pas souscrire à de tels propos, d'autant qu'ils ont été tenus à Jérusalem, au mémorial de Yad Vashem, le 23 janvier 2020, lors du 5e forum mondial de commémoration de la Shoah, par…. le président russe, Vladimir Poutine.
Le chef du Kremlin et son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov étaient au nombre des chefs d'Etat et de gouvernement de plus de cinquante pays, venus dans la capitale israélienne marquer le 75e anniversaire de la libération d'Auschwitz. C'était il y a trois ans à peine. Une éternité, si l'on considère la "situation politique du moment", pour reprendre les termes du président Poutine. Deux ans plus tôt, lors d'une autre visite en Israël, Sergueï Lavrov avait tenu à rappeler combien la Russie appréciait le respect exprimé par Israël pour le rôle de l'armée Rouge dans la libération des camps d'extermination nazis et le fait que la date du 9 mai, célébrée par la Russie pour marquer la victoire de 1945, figure au calendrier officiel israélien. Difficile d'imaginer qu'en 2022, le ministre russe des Affaires étrangères prononcerait lui-même des propos aussi injurieux pour les six millions de victimes juives de la Shoah.
Cette fois, la rhétorique russe qui se déploie depuis le début de l'invasion de l'Ukraine ne peut plus être cachée sous le tapis. Non seulement les dirigeants russes accusent les Ukrainiens d'être les nouveaux nazis, mais ils n'hésitent plus à inverser les rôles si cela peut servir leur propagande et leurs objectifs : justifier leur action en délégitimant l'Ukraine. " Les pires antisémites ont été des Juifs " a osé déclarer dimanche le ministre russe des Affaires étrangères. Pour Israël, qui s'est, au fil des décennies, affirmé dans le rôle d'Etat gardien de la mémoire de la Shoah et des persécutions faites au peuple juif à travers l'histoire, il n'était plus possible de se taire. On a donc entendu successivement plusieurs membres du gouvernement israélien, dont le ministre des Affaires étrangères Yaïr Lapid et le Premier ministre Naftali Bennett condamner les propos de Sergueï Lavrov et exiger qu'il s'excuse et se rétracte.
Mais cet incident particulièrement grave vient aussi souligner les limites de ce qu'Israël en tant qu'Etat peut faire pour prévenir le négationnisme et l'instrumentalisation de la Shoah. C'est Israël qui a fait passer à l'Assemblée Générale de l'Onu deux résolutions sur ce thème, la première pour faire du 27 janvier la journée internationale de commémoration des victimes de la Shoah et la seconde, en coopération avec l'Allemagne, il y a deux ans pour combattre le négationnisme et lutter contre l'antisémitisme. Inutile de préciser que la Russie les avait soutenues, comme de très nombreux autres pays membres des Nations Unies. Mais pour quel résultat, peut-on se demander aujourd'hui.
Pascale Zonszain
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