Sa cavale aura duré près de quarante ans (un peu moins que celle du milicien Touvier). Klaus Barbie, ancien SS et zélé gestapiste ayant sévi à Amsterdam, Dijon puis Lyon, était parvenu à fuir en Amérique latine après la guerre. Surnommé « le boucher de Lyon » en raison des nombreuses atrocités qu'il a commises pendant son séjour dans la préfecture du Rhône de février 1943 à septembre 1944, il aura échappé pendant quatre décennies à toute poursuite judiciaire.
Tranquillement installé au Pérou, puis en Bolivie, Barbie travaille pendant plusieurs décennies pour les services secrets du pays (ses méthodes d'interrogatoire sont utilisées par la dictature contre les opposants). En 1971, le parquet de Munich rend un non-lieu en sa faveur!. L'ancien dignitaire nazi, bien que repéré par les services secrets américains, allemands et français, est sur d’échapper à la justice et à répondre de ses actes. Les protections dont il bénéficie au plus haut niveau de l'État bolivien empêchent son extradition vers la France.
Les Klarsfeld entrent dans la légende des chasseurs de nazis avec un journaliste français Ladislas de Hoyos. Les époux Klarsfeld le retrouvent et envisagent même un moment de l'enlever comme les services secrets israéliens l'avaient fait avec Adolf Eichmann en mai 1960. Arrive alors un moment que chaque journaliste aurait aimé connaitre et qu’un grand reporter français va réussir : Ladislas de Hoyos, le 3 février 1972 va interviewer Barbie en Bolivie. Celui qui se présente alors sous l'identité d'emprunt Klaus Altmann se trahit pendant l'entretien en répondant à une question, posée par le reporter en français. Alors qu'il prétend ne pas parler français , il répond pourtant sans hésiter à Ladislas de Hoyos qui lui demande s'il a vécu à Lyon. « Il s'est coupé à ce moment-là », racontera Christian Van Ryswick, le cameraman qui réalise l'enregistrement pour Antenne 2.La police bolivienne demandera à confisquer la vidéo qu’habilement les journalistes français réussiront à garder . Grand moment romanesque de reportage !
Mais il faudra cependant attendre la chute du dictateur bolivien Hugo Banzer pour que les autorités l'arrêtent et acceptent de le livrer à la justice française. En détention, Klaus Altmann reconnaît vite être Barbie, avoir participé à l'arrestation de résistants, notamment celle de Jean Moulin. Mais il nie être responsable de la déportation de juifs. Ses dénégations seront balayées par des dizaines de témoignages et de documents prouvant son implication active dans la Shoah.
On utilise le mot « historique » pour qualifier le procès qui va s’ouvrir. Extradé le 5 février 1983, Klaus Barbie sera jugé par la cour d'assises du Rhône, à Lyon, du 11 mai au 4 juillet 1987. Ce sera le premier procès pour crime contre l'humanité en France. Et, pour la première fois aussi, en vertu d'une loi voulue par Robert Badinter, alors garde des Sceaux, ce procès d'assises est filmé au cours duquel 107 témoins et 42 avocats ont pris la parole. On y découvre des notes des services secrets qui témoignent que l'identité de Klaus Barbie et son lieu de résidence étaient connus depuis près de vingt ans au moment où il fut enfin arrêté. On y apprend aussi qu'il fut interrogé par des fonctionnaires d'État français au début des années 60 !
De larges extraits des audiences et des journaux télévisés de l'époque rendent compte de l'onde de choc provoquée en France et à l'étranger et mettent en lumière le réveil de la mémoire juive et résistante après le procès. Les témoignages des survivants et témoins de l'époque sont , vous l’imaginer, bouleversants. Notamment les prises de parole de Fortunée Benguigui et Ita-Rose Halaunbrenner, qui perdirent chacune trois enfants dans la rafle d'Izieu qu'organisa Klaus Barbie. Que nous recevrons quelques années plus tard sur les ondes de Radio J.
En 2017 une exposition remarquable au mémorial de la Shoah présentera des documents exceptionnels attestant de l’implication de Barbie dans la rafle des enfants d’Yzieu. Au cœur de cette exposition figurait la pièce maîtresse de l'accusation : un télégramme envoyé par Klaus Barbie où il rend compte de l'arrestation des 44 enfants Juifs d'Izieu. Ce document atteste que le responsable de la Gestapo joua un rôle-clé dans la déportation de ces enfants de 2 à 14 ans d'abord à Drancy puis à Auschwitz. Il indique qu'il savait parfaitement le sort qui les attendait. « C'était la guerre, la guerre est finie ».
Klaus Barbie est condamné, le 4 juillet 1987, à la réclusion à perpétuité pour la rafle de l'Union générale des israélites de France (UGIF) le 9 février 1943, rue Sainte-Catherine à Lyon, la déportation des enfants de la colonie d'Izieu, dans l'Ain, avec cinq adultes le 6 avril 1944, la déportation d'environ 650 personnes par le dernier train qui quitta Lyon le 11 août 1944 sous escorte allemande. Au président de la cour d'assises qui, avant de prononcer le verdict, lui demandait ce qu'il avait à déclarer pour sa défense, Barbie avait eu ses mots : « C'était la guerre, la guerre est finie ». Jusqu'au dernier jour, le nazi n'aura exprimé aucun remord. Il est mort trois ans plus tard, en détention. Tranquillement.
Michel Zerbib
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