Nous sommes les contemporains de cette affaire et à titre personnel, d’ailleurs, j’ai été conduit à témoigner dans un de ces procès. On en parlera plus tard. En attendant replongeons dans cette journée du début du 21e siècle et les protagonistes de ce qui va devenir l’affaire Al Dura. Le 30 septembre, deux jours après la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade du mont du temple à Jérusalem et deuxième jour de l’intifida, des journalistes de Reuters, AP, NHK, ainsi que Talal Hassan Abu Rahmeh, cadreur palestinien de France 2, ont pris place au carrefour de Netzarim, dans la bande de Gaza. Mohammed al-Durah, un garçon de 12 ans, et son père, Jamal al-Durah s’engagent dans la rue Al-Shuhada qui les conduit au carrefour de Netzarim : c'est une journée de grève et de protestation dans les territoires palestiniens. Talal Hassan Abu Rahma filme par intermittence les manifestants, pendant toute la matinée, puis, l’après-midi, les échanges de feux et enregistre sur sa caméra, à quelques mètres de lui, l’enfant Mohammed al-Durah atteint mortellement par des balles alors qu’il se blottissait dans les bras de son père. L’image devenue iconique et le symbole de la présumée cruauté monstrueuse de l’armée d’Israël.
Le vidéaste palestinien fait parvenir ses images à Charles Enderlin, qui était au bureau de France 2 à Jérusalem. Donc qui n’était pas sur le terrain ce jour là Celui-ci prend contact avec le service de presse de l’armée israélienne pour l’informer de la gravité des images détenues. Il n’obtient pas de réponse. En application d'accords standard entre chaînes de télévision le bureau de France 2 transmet alors gratuitement à d’autres équipes de télévision le reportage d'Abu Rahma et du journaliste Charles Enderlin présentant la mort d’un enfant dans les bras de son père. Cette transmission du reportage d'Enderlin à d'autres chaînes sera par la suite vivement reprochée à France 2 qui se verra accusée par les personnes qui mettront en cause le reportage d'Enderlin (par exemple, et entre autres, PIERRE ANDRE TAGUIEFF ) d'avoir intentionnellement promu un message accusateur contre l'occupation israélienne. Pour sa part, France 2 diffuse, le soir où les événements eurent lieu, et après accord de la rédaction de Paris, un reportage sur le drame, commenté par Charles Enderlin. Un commentaire qui assure que ce sont les soldats israéliens qui ont tiré et finit par l’image symbolique du drapeau israélien. Désastreux pour Israël qui ne se rend pas compte à quel point l’affaire va prendre de gigantesques proportions.
Il faut bien dire que le général Giora Eiland déclare à la BBC le 3 octobre que « les tirs venaient apparemment des soldats israéliens postés à Netzarim », répète ces propos sur CNN (« apparemment, l’enfant a été tué par l’armée israélienne »), et dit également : « Autant que nous puissions savoir, l’enfant a été touché par nos tirs » cité par le journal Haaretz le 25 janvier 2002). [Ces propos sont ensuite confirmés par le général Moshe Yaalon]. Les israéliens pensent qu’ils s’en sortiront en avouant une balle perdue...
La montée des réactions provoquées par les images et la crainte de leur possible instrumentalisation, conduisent l’armée à revenir sur ses positions. Une reconstitution de la scène aurait permis de jeter une lumière sur les différentes hypothèses, mais la démolition du site par l’armée empêchera à tout jamais la conduite d’une enquête sérieuse car selon Bernie Schechter, un expert israélien en balistique, cette destruction « élimine 95 % des éléments matériels nécessaires à une preuve ».
La première provient de Nahum Shahaf, physicien, qui dirige une petite entreprise travaillant pour l’armée. Le 19 octobre, il prend contact avec le général Yom Tov Samia et tente de le persuader de la non-responsabilité de l’armée. Le surlendemain de la mort de Mohamed al-Durah, il écrit une lettre au quotidien israélien Haaretz, dans laquelle il affirme avant même de se livrer à l’examen des faits : « L’armée doit dire que les Palestiniens ont tué l’enfant à des fins de propagande. » Le général Samia met Shahaf à l’écart de l’enquête. La chaîne américaine CBS, bénéficiant d’une exclusivité sur l’affaire, produit un documentaire, jugé accablant par le journal Haaretz qui titre : « L’armée se tire une balle dans le pied. » Le 27 novembre, le général Yom Tov Samia convoque une conférence de presse durant laquelle il essaie d’utiliser le travail de Shahaf et Duriel, mais Shaoul Mofaz chef d’Etat major des armées , prend ses distances « en révélant que l’équipe enquêtant sur les circonstances de la mort de Mohamed al-Durah a été constituée à l’initiative personnelle du général Samia, et non sur requête officielle ». Pourtant les contestations de Nahum Shahaf et Yossef Duriel vont commencer à instiller le doute : ils contestent d'abord l'origine des balles, affirmant que celles-ci ne provenaient pas des positions israéliennes. Puis dans un deuxième temps, ils vont jusqu'à évoquer « une mise en scène des Palestiniens », c'est-à-dire qu'ils affirment que les Palestiniens auraient procédé à un montage avec figurants, fausses ambulances, etc. En particulier, ils affirment que le petit Mohammed al-Durah ne serait pas mort, mais serait un comédien qui aurait « joué une scène ». Chronologiquement, ceux qui reprennent et diffuseront les thèses de Shahaf et Duriel sont : tout d'abord la MENA avec Stéphane Juffa ainsi que l'un de ses correspondants à Paris en 2002, Gerard Huber (son livre, Contrexpertise d'une mise en scène, paraît en janvier 2003 et sera pendant un certain temps librement téléchargeable sur son site web) ; puis l’allemande Esther Shapira et Luc Rosenzwieg ancien rédacteur en chef du journal Le Monde et enfin Philippe Karsenty à partir de 2002.
Dès la fin 2001, l’affaire commence à apparaître en France, d'abord par l'intermédiaire de Claude Lanzmann qui s’exprimera à propos du preneur d’images palestinien de Charles Enderlin (Talal Abou Rahma) dans le journal Le Monde en ces termes : « Ce qui me révolte personnellement dans cette histoire, c'est que cette mort a été filmée en direct par le cameraman arabe d'une chaîne française de télévision ». Ensuite, France 2 est soumise à des pressions pour qu’elle diffuse le documentaire d’Esther Shapira produit pour la chaîne de télévision allemande ARD , « Trois balles et un enfant mort ». Le 2 octobre 2002 , la LDJ organise une manifestation sous les fenêtres de France 2, faisant suite à un « Prix Goebbels de la désinformation » attribué en mars à France 2 et à Charles Enderlin par cette Ligue. Charles Enderlin est obligé par la suite de déménager avec toute sa famille, en raison des lettres de menaces et des intimidations dont il est la cible. Il devient en effet le journaliste , sans doute le plus détesté dans la communauté juive militante. Vont venir l’heure l’heure des procès en diffamations mais aussi des crimes antisémites un petit peu partout dans le monde commis au nom de la vengeance du petit Mohamed Al Dura.
Michel Zerbib
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