Les si difficiles témoignages à la barre, la chronique de Michel Zerbib

France.

Les si difficiles témoignages à la barre, la chronique de Michel Zerbib
(Crédit : Twitter)

Une première victime s'avance vers la barre. Vanessa, 33 ans. Les avant-bras posés sur la barre, elle tient une feuille de papier entre ses mains et lit un texte qu'elle a préparé. La voix est posée. 

Ce 13 novembre 2015, elle vient au concert avec son compagnon de l'époque. Ils vont sur le balcon. Les premiers coups retentissent : "Je pense qu'il y a une embrouille en bas et que les gens se disputent." Elle se dit : "Ce n'est rien." Son compagnon, descendu chercher une bière, remonte et lui dit qu'on leur tire dessus, ce sont des terroristes. Et puis ils fuient. Direction les loges, puis les combles. Tout du long, elle se répète : "Tout va bien, tout va bien." Comme un mantra. 

"Pendant cinq ans, j'ai fait semblant que tout allait bien." Vanessa raconte maintenant son après attentat . "J'ai travaillé fort, durement, parce que c'était ce qu'on me demandait de faire et que c'est ce que font les gens qui vont bien." Oui, mais : elle dit aussi "les angoisses, les paralysies faciales, les insomnies, l'incapacité à prendre le métro". 

Vanessa poursuit sa lecture, son récit du soir du 13 novembre 2015 et de l'après. Elle raconte notamment "la plus intense crise d'angoisse" dans le métro, elle aurait pu "tomber à genoux" mais s'est promis de "rester debout". "Je resterai debout", répète Vanessa. Sanglots …., elle reprend, et puis c'est la fin de sa déposition. 

Karena se présente devant la cour. "Je suis désolée. Je suis très stressée. C'est plus dur que ce que je pensais. Je ne suis pas prête dans mes notes et dans ma tête." Karena raconte aussi son 13-Novembre. Elle retrace les premiers tirs, la fuite, une porte qu'elle ouvre, celle d'un placard technique où elle va se cacher. Et où se réfugie aussi un autre homme. Ici, "la peur est épaisse comme de la soupe", dit-elle. Et puis c'est l'attente. "On était dans le noir, on était dans notre peur." Un geste des mains, un petit bruit de craquement : Karena raconte le moment où son téléphone sonne et où l'homme présent dans le placard avec elle, Nicolas, le brise en deux. Pour ne pas se faire repérer. 

"J'ai commencé à dire au revoir à mes enfants dans ma tête, au revoir à la vie." Karena poursuit son récit, d’une voix d’une pointe d’accent américain. Elle s'interroge sur ce qu'elle "va trouver" après la mort. Dans le placard, c'est "l'attente, l'attente, l'attente, les tirs, la peur". Et puis "un gros boum" : l'un des terroristes vient de se faire exploser. Karena raconte la suite : l'arrivée de la police, la sortie du Bataclan, mais aussi l'après. "Le stress post-traumatique, je connais très bien", dit-elle. "J'ai souffert, bien sûr, mais ça reste entre mon psy et moi." Il y a aussi ses enfants, son fils qui doit lui aussi voir un psy en raison de l'attentat et de ses conséquences. 

Robert raconte à présent son 13 novembre. Il retrouve un ami : bières, joints, ils vont au concert. Et puis c'est l'attaque. Robert raconte les tirs, le sang "partout sur moi" : "Miracle, je n'avais rien, comme quoi ils ne savaient pas très bien viser parce que je n'étais pas loin". Il profite d'un changement de chargeur des kalachnikovs pour bouger. Derrière le bar, Robert voit comme "l'embrasure d'une porte ”Il y va, retrouve son ami, c'est un réduit dans lequel il y a des bouteilles de gaz ou des machines à café. "On va se dire : de toute façon, quitte à y passer autant y passer en se défendant, j'ai pris une bouteille de gaz." Robert raconte comment il voit les terroristes. Il nous décrit ses impressions, comme des instantanés de l'attaque. L'un d'eux a une "dégaine improbable", des "cheveux gominés" et "un survet'". 

Robert raconte la suite de l'attaque, la sortie du Bataclan. Une habitante, Myriam, qui lui ouvre sa porte. Plus tard, il est toujours avec son ami. Ils sont "heureux mais tristes", "on a ri, on a pleuré", l'impression d'être "complètement dissociés de nos corps". Ensuite, ils sont seuls, et puis encore plus tard, il y a l'association de victimes Life for Paris. Robert raconte l'après . Trois ans" avant de retourner voir des feux d'artifice avec ses enfants mais ça y est, il y va à nouveau. Même chose pour les concerts. Il y a malgré tout "une rechute" : 14 juillet 2016, l'attentat de Nice

Louise se tient désormais face à la cour, les mains croisées devant elle, elle commence son récit de la soirée du 13 novembre 2015. Le début du concert, les bruits de "pétards", un corps sans vie qui tombe sur elle, et puis Louise comprend qu'elle doit se mettre au sol. Mouvements de foule, une balle lui frôle la tête, "ça saignait beaucoup", "j'ai pensé que j'allais mourir pendant pas mal de minutes, c'est très long quand on est sûre de ça". Louise raconte l'arrivée des "hommes armés et en noir" de la BRI, la Brigade de recherche et d'intervention. Elle fait courir son regard en l'air, dans le vide, quand elle explique d'abord penser à une nouvelle attaque. Puis c'est la sortie du Bataclan. 

Louise raconte l'après, les conséquences de l'attentat. "Pendant quelques mois, ça s'est très bien passé." Mais après le premier anniversaire de l'attentat, "ça s'est moins bien passé". Et ainsi de suite. Elle décrit un "voile" qui s'est abattu sur elle et "change tout en nul". Et "tous les ans c'était un peu plus nul". Elle n'attend "pas grand chose" du procès. Louise fait sourire en disant n'avoir "pas trop confiance en vous", en regardant la cour, elle est désolée. Elle pensait que parler à la barre pourrait la "libérer un peu". 

Un autre rescapé du Bataclan est désormais à la barre, il ne souhaite pas que son prénom soit dévoilé. C’était un ouvrier qualifié fou de musique . Lui aussi raconte l'attentat, la sortie du Bataclan, et après l'attentat, une reconversion. Il veut aussi lire un texte qui s'adresse aux accusés. "Nos libertés sont plus importantes que nos vies", dit-il dans ce texte, qu'il lit d'une voix forte, rythmée, appuyant bien sur certains des mots. "Je ne vous haïrai pas, je vous laisse vous en charger"

La cour va alors annoncer une bien triste nouvelle : "Une très lourde perte" :  les avocats de parties civiles, par la voix de Me Frédéric Bibal, rendent hommage à Françoise Rudetzki, fondatrice de l’association SOS Attentats, décédée dans la nuit de mardi à mercredi. 

Dans sa déposition, Nicole brosse le portrait de son fils. Entré à Sciences Po Rennes à 17 ans, passionné de musique, "tu as croqué la vie à pleine dents" dit-elle. "Comment un moment festif se transforme une nuit d'horreur ?" s'interroge Nicole qui raconte aussi son 13-Novembre, avec la compagne de son fils, la télévision allumée, "dans chaque image de l'horreur nous te cherchions". Nicole nous dit comment elle apprend le décès de son fils. "La douleur incommensurable", "même pas possible de pleurer tellement nous étions sidérés", dit-elle. "Depuis presque sept ans notre cœur de parents saigne en silence", poursuit Nicole. Elle ajoute : "Il faut résister et vivre avec le vide." 

Slimane autre partie civile commence sa déposition : "Moi je n'y étais pas et je n'y ai perdu personne. Mais j'ai une sœur qui y était et qui témoignait au mois d'octobre." Au Bataclan, dans la fosse. "Quand elle est rentrée, c'était catastrophique. Elle était là mais c'était plus elle." Un peu plus tard, il dira qu'elle a tenté de se suicider en 2017. "Je ne témoigne pas des faits du 13 mais des conséquences du 13 sur une famille. Même quand la victime a survécu." Sa sœur se tient à côté de lui. Robe jaune, de la même couleur que le t-shirt de l'homme à la voix douce, le regard un peu dans le vide.

https://youtu.be/dCWDSmqurKM

Michel Zerbib

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