Ce sont les événements qui se sont donc déroulés après les massacres du 13 novembre. Les oubliés de la fin de cette histoire. Des riverains de la rue du Corbillon, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) ont donc été les derniers à déposer concluant ainsi cette phase du procès qui reprenaient avec des victimes qui n’avaient pas encore témoigné avant le début des plaidoiries qui débutent, elles, ce lundi .
Rappelons nous : le Raid avait donné l’assaut sur un appartement de cette rue dans la nuit du 17 au 18 novembre 2015 : Abdelhamid Abaaoud, considéré comme le chef opérationnel des commandos terroristes, s’y était retranché, avec Chakib Akrouh, un autre terroriste, et sa cousine Hasna Ait Boulahcen.
C’est d’abord Helena qui s'avance vers la cour. Elle est accompagnée de sa famille, dont une enfant et un adolescent. "On est une famille... On était une famille comme les autres", dit-elle en regardant la jeune fille. Elle parle d'une petite voix empreinte de tristesse . "On nous a tout pris..." "On nous a tout pris." Son fils place sa main dans son dos.
"Le plus difficile, je me rappelle toujours, c'est d'attendre d'attraper une balle." Helena poursuit son récit, elle raconte toujours l’ assaut du Raid sur l’immeuble de la rue Corbillon. Sa voix s'étrangle un peu plus, elle ferme les yeux, pleure. Elle se dit alors : "On va partir." Elle poursuit : "Quand j'ai entendu la fille qui criait Allah Akbar, je me suis dit : là, ça y est." On n'imaginait pas la souffrance de ces survivants là.
Les témoins meurtris racontent leur « après » comme durant toute la semaine dernière avec les survivants et leurs familles. C’est une donnée fondamentale de ce procès. Difficile de continuer à vivre. Helena a raconté l'après, pour sa famille. « Mon mari, je l'entends pleurer la nuit », dit-elle. « On n'arrive toujours pas à dormir. Ca fait six ans et demi qu'on n'y arrive pas. Même avec des médicaments. » Elle poursuit, toujours très émue : « Tout ça pour vous dire : notre vie, ça a changé. » Elle explique qu'elle et son mari sont au RSA, que la famille attend un logement social.
Son mari dépose à son tour , crâne rasé, d’ une voix douce, il dit : « L’assaut a bouleversé notre vie. » Avant, il était maçon. « Aujourd'hui, j'ai énormément de bruits dans la tête », explique-t-il avec un geste de la main. Il dit être devenu « sourd de l'oreille gauche » évoque ses « angoisses à répétition » et ses « problèmes respiratoires ».
Il poursuit : « Je m'excuse. » Son fils porte une main sur son dos. Les habitants de l'immeuble sont des "victimes oubliées", dit-il. L'homme parle des « 5 000 munitions tirées » lors de l'assaut, des « huit heures couchés par terre sans pouvoir bouger », d'une « scène de guerre ».
Une autre famille s'avance. Celle de Melissa. Elle est venue avec un garçon et une petite fille. Le président s'étonne : « Vous n'aviez personne pour garder la petite ? A la barre des assises, c'est un peu compliqué… » Melissa commence son récit, sa fille bouge autour de la barre, elle doit la prendre dans les bras, pas impressionnée du tout. Elle raconte l'immeuble, où vivaient des gens de "toutes les nationalités, marocains, espagnols, serbes" comme elle. Melissa commence son récit, mais la petite fille bouge encore, le président : "Personne ne peut le garder dans la salle, un ami ? Melissa explique qu'elle est « avec moi, toujours ». Sa petite fille reste finalement, Melissa reprend, raconte l'assaut. Elle a connu les bombardements en Serbie, et dit : « Jamais je n'aurais imaginé que je revivrai ça en France. » Melissa dit aussi l'après, "les cauchemars et images dans ma tête". Elle demande à être reconnue comme victime des terroristes, veut « être traitée comme tout le monde ».
Beaucoup de ces habitants vont être abrités dans des gymnases pendant plusieurs semaines .
Un couple s'avance vers la barre. Une dame, foulard jaune, robe noire, commence sa déposition et éclate en sanglots. La voix en pleurs, elle explique qu'elle est d'origine algérienne, s'est vite intégrée en France, a obtenu son Master 2 à la faculté de pharmacie avec mention très bien, et avait la confiance de ses employeurs. L’assaut du Raid vu par l'habitante de l'immeuble : « J’ai prié pour mourir avant nos enfants », dit-elle encore.
Elle raconte maintenant l'après. "Depuis le 18 novembre 2015, c'est la deuxième fois que je prends un métro ou un RER", dit-elle : une fois pour venir chercher son badge partie civile et une fois pour venir déposer, aujourd'hui.
Son mari dépose désormais. Il parle en arabe et explique être originaire d'Egypte, où il était avocat. Après le 18 novembre 2015, "j'ai arrêté de parler pendant une semaine et mon fils a toujours des séquelles", dit-il encore
"Vive la France, vive la justice", conclut-il, en français.
Akesia s'avance vers la barre. Son avocat, Me Méhana Mouhou, fait diffuser une vidéo au-dessus de la cour. Un reportage télévisé montrant notamment le gymnase où ont été relogés les anciens habitants de l'immeuble en question, après l'assaut du Raid. Akesia témoigne dans ce reportage.
Akesia : « Aujourd'hui, plein de vies ont été bousillées. Mais la notre aussi. Plein de personnes y ont perdu des proches. Plein de personnes y ont perdu des rêves, des espoirs. Moi j'ai besoin aujourd'hui d'oublier tout ça. J'ai besoin d'avancer. Car j'ai un fils dont je dois m'occuper. »
Lucille aussi a déposé à la barre . Accompagnée de son conjoint. "Nous sommes les oubliés de la fin de l'histoire", dit-elle.Elle explique que tous deux sont propriétaires d'un appartement voisin du 48, rue de la République à Saint-Denis.
Lucille raconte qu'elle et son conjoint se cachent dans leur dressing, en attendant la fin des tirs. Après la fin de l'assaut, ils découvrent, dehors, une "scène de guerre".
Ensuite, « nous sommes comme oubliés dans notre immeuble, personne ne viendra nous voir, ni la police, ni les pompiers, ni les psychologues ».
Lucille déplore l'absence de soutien psychologique. Aujourd'hui, elle affirme paniquer dès que résonnent des bruits de pétards.
Une donnée à ne jamais perdre de vue tant certains survivants qui se croyaient guéris ont replongé (comme le 131e mort de attentats qui s’est suicidé). Priscilla raconte aussi les conséquences de ce 18 novembre sur sa famille : « plein de bombes » sur les dessins de sa fille, elle « ne dessinait pas des choses de son âge, à 5 ans ».
« Des mois après les faits, mon état a commencé à se dégrader". Des angoisses, notamment quand Priscilla prend les transports en commun. "Impossible de travailler dans ces conditions. Une « dépression mortelle », et une tentative de suicide. Comme beaucoup de survivants.
Priscilla en pleurs demande, elle aussi, à être « traitée comme une victime ». Oui ceux là sont aussi des victimes de ces attentats. Des victimes un peu oubliées dont vont parler, dès cette semaine, les avocats des parties civiles pour le début de quinze jours de plaidoiries très attendues !
Michel Zerbib
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