Je vous parlais hier (mardi) de cette organisation méthodique destinée à ne pas faire de répétition dans les plaidoiries. Alors on se replonge dans la salle d’audience comme si vous y étiez Les plaidoiries ont été consacrées aux lieux des attaques.
Me Didier Seban évoque les quatre « combattants »de l’Etat islamique qui arrivent au stade de France, "équipés de gilets explosifs, dont Salah Abdeslam", qui avait conduit le commando jusqu’à l’enceinte du stade . Saint-Denis, "ville du sacre des rois", abrite ce "grand stade qui représente la France heureuse, celle de la Coupe du monde 98, des deux buts de Zidane, d’une France black blanc beur comme on disait à l’époque". Une foule nombreuse était réunie ce soir-là, le président, François Hollande était présent en tribunes.
Porte D, porte H et près du McDonald’s… le plan où ont eu lieu les différentes explosions est diffusé sur le rétroprojecteur. La grande esplanade qui entoure "ce lieu de fête, marquée par la volonté meurtrière que porte cette meute partie de la Belgique vers la France", a été pensée pour évacuer le public facilement, rappelle Me Seban : "Cela a probablement sauvé des vies".
Sur le banc, il y a des accusés dangereux. L’avocat retrace l’action des membres de la cellule ce soir-là. Me Seban aborde ensuite le cas des trois kamikazes morts lors de cette soirée, les Irakiens Ammar Mohamad al Sabaawi, Mohammad al Mahmod et le Français Bilal Hadfi. Et leurs contacts avec les accusés, "deux sont présents dans le box, et auraient pu se faire exploser comme eux", selon Me Seban, qui revient ensuite sur les déclarations de Salah Abdeslam, sur les raisons qui l’auraient poussé à renoncer à actionner sa ceinture explosive : "ce n’est pas crédible".
« C’est important de le savoir pour certaines parties civiles", va dire Me Soria, qui souligne que cette question n’a jamais réellement trouvé de réponse, même durant le procès.Les terroristes "ont tenté de s’attaquer à notre façon d’être, de rire, de vivre libre, selon cette avocate . S’attaquer à ces terrasses, c’est s’attaquer à notre façon de vivre ensemble, quelles que soient nos personnalités, nos croyances. J’ai été personnellement épatée par les parties civiles venues témoigner à la barre. Elles sont heureuses, festives, amoureuses, c’est notre jeunesse." Elle a raison !
Une réflexion de cette avocate nous interpelle : la tuerie de masse n’a pas permis à l’instruction de s’intéresser à l’instant d’avant des victimes. La tuerie de masse c’est le risque d’invisibiliser ses victimes", dit Me Soria. Elle fait projeter des schémas montrant les positions des victimes qui ont essuyé les rafales tirées par les kalachnikovs au bar du Carillon
Me Julia Katlama représente plusieurs jeunes femmes "qui ont eu la chance de ne pas avoir trouvé de place en terrasse, et s’étaient placées au fond du bar, près de la télévision". L’avocate raconte "l’arrêt sur image, le chaos", qui ont suivi les tirs, "les débris de verre, les tissus en lambeau", puis l’arrivée des secours, qui tentent de rassurer les clients choqués. Ses clientes, à elles, avaient trouvé refuge dans le salon d’une riveraine, qui les avait invitées sans les connaître. "Il faut vivre pour leur dire qu’ils n’ont jamais gagné, et les juger pour enfin tourner la page".
Le petit Camboge : l’avocate raconte le souvenir d’une cliente, blessée à la jambe, qui s’est jetée sous les tables après avoir aperçu le sourire d’Abdelhamid Abaaoud, l'organisateur des attentats, chaussé de ses "baskets orange", armé d’une kalachnikov. Elle cite les noms des morts et des vivants. Aujourd’hui, le gérant tient toujours son restaurant, qu’il a redécoré sur les conseils de son thérapeute.
Pour l’une des victimes de la rue de Charonne, "des 164 coups tirés en moins de 120 secondes …paraissent une éternité." La voiture repart vers le boulevard Voltaire avec les terroristes à bord, et "laisse place au silence et à la panique de ceux qui veulent fuir" l’horreur, relate l’avocate avant de donner le nom des 19 personnes décédées à l’angle de la rue Charonne.
« La seule terrasse ouverte attaquée par une seule personne, et pas par des armes automatiques", rappelle l’avocate. C’est dans cet établissement que Brahim Abdeslam, frère du principal accusé, avait actionné sa ceinture explosive, sans faire de mort "grâce à une défaillance". Deux blessés graves seront à déplorer. Le conseil demande qu’une image captée soit diffusée, pour visualiser "l’ambiance de cette brasserie typiquement parisienne", anciennement appelée "Le Café de l’espérance" et qui a aujourd’hui changé de nom.
Salah Abdeslam avait déclaré "Les victimes sont ressorties plus fortes, plus cultivées. Elles ont acquis des qualités grâce à ces épreuves". Me Delgado répond, en citant ceux qu’elle représente : "C’est tout le contraire. La seule manière de s’en remettre est un processus de survie psychologique. Se sentir plus fort après un traumatisme, ce n’est pas la réalité".
Pour finir , disons un mot de la plaidoirie de Maitre Reinhardt décrivant le tableau du bombardement de Guernica : "Et si Picasso avait dû peindre le Bataclan, l’aurait-il fait différemment ?". Il parle des cris des proches de victimes, "des mamans" qui ont dû voir le corps de leur proche mort. L’avocat compare avec l’œuvre du peintre espagnol, il décrit les corps enchevêtrés qui se tordent, les survivants qui tentent de fuir "cet enfer". Oui l’enfer.
Michel Zerbib
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