L’antisémitisme semble si naturel qu’on ne le reconnait plus. Une bonne partie de l’opinion pense désormais, que la France est soumise à la finance juive, dont le président de la République serait la marionnette, fabriquée chez Rothschild et manipulée par Jacques Attali.
Dans ces conditions, la mairie d’Avignon a d’abord invoqué la liberté d’expression pour justifier son inaction et la fresque n’a été recouverte que sur l’injonction du préfet, représentant le gouvernement.
Les protestations des politiques sont rares, et aucun élu d’Avignon n’a songé à présenter des excuses à Jacques Attali. Même ceux qui condamnent la fresque, qui n’est que la copie des représentations antisémites classiques, publiées au long de l’affaire Dreyfus et, plus tard, dans la propagande de Vichy et des officines nazies, n’ont pas un mot pour cette manière de clouer au pilori un intellectuel, un économiste remarquable, qui fut aussi un serviteur de la République.
Je précise, au passage, que je n’ai pas de liens particuliers avec Jacques Attali, j’ai simplement pris beaucoup d’intérêt et de plaisir à l’écouter, en diverses circonstances, en un temps où la gauche ne se contentait pas de slogans et cherchait à comprendre la marche du monde.
Hélas, elle a bien changé, la gauche, depuis l’époque où nul ne se serait avisé de pointer du doigt les origines communes de l’économiste du parti communiste, Paul Boccara, et de celui du parti socialiste, Jacques Attali.
Ceux qui prétendent aujourd’hui défendre les acquis sociaux légués par les gouvernements de gauche, ont totalement oublié le marxisme modernisé par Boccara et ils n’ont de cesse de charger Attali de tous les maux, du tournant de la rigueur à l’adaptation de l’économie française aux réalités de l’Europe et du marché mondial.
Le crédo de la première force de gauche repose sur la dénonciation de créatures maléfiques, Alain Minc et Jacques Attali, coupables d’avoir conseillé plusieurs présidents de la République, et suspects de servir toujours les intérêts de la banque Rothschild, accusée d’avoir formaté le président de la République.
L’antisémitisme ancré à l’extrême-gauche n’est pas fait seulement de ces dérapages verbaux dont les élus LFI sont coutumiers. Il résulte d’une lecture simpliste du capitalisme, que le socialiste allemand August Bebel qualifiait déjà, il y a 120 ans, de socialisme des imbéciles. L’expression a été reprise avec bonheur par mon ami Alexis Lacroix, parce que nous assistons à un retour massif des imbéciles. L’idée d’un monde manipulé par une conspiration mondiale est le socle commun de l’extrême-gauche et de l’extrême-droite.
Les enquêtes d’opinion montrent que ce complotisme imprègne les jeunes générations plus que les anciennes, son omniprésence sur les réseaux sociaux en atteste. Et, bien sûr, la dénonciation du complot est associée à la haine d’Israël, l’antisionisme étant largement partagé par les générations incultes. Je viens de lire, par exemple, que le boycott du gaz russe profite comme par hasard à Israël, devenu pays producteur et potentiel fournisseur de la France.
L’antisémitisme se faufile ainsi sur chaque sujet d’actualité. Israël, qui avait, depuis soixante-quinze ans, toutes les raisons de redouter la préférence pétrolière de ses alliés occidentaux, se voit accusé de profiter de la crise énergétique.
Qu’il s’agisse d’énergie, de santé ou de crise financière, l’explication par la finance juive et les intérêts d’Israël s’impose systématiquement.
La France connaît une crise politique, il y a forcément un responsable juif !
L’image de Jacques Attali tirant les fils de la marionnette Emmanuel Macron tourne donc sur les réseaux, et ceux qui tentent de la dénoncer s’attirent tantôt des protestations effarouchées, niant le caractère antisémite de cette image, tantôt des flots d’insanités clairement antisémites.
De quoi Attali est-il coupable ? Il a bien été conseiller spécial du président de la République, mais il y a quarante ans, lors du premier mandat de Français Mitterrand. Il a occupé, depuis divers postes, et il a surtout le grand tort d’avoir des idées, beaucoup d’idées, qui ont intéressé successivement Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Chacun a le droit d’approuver ou de combattre les propositions de Jacques Attali, les présidents successifs en ont parfois retenu quelques-unes. Mais ces propositions sont publiques, elles n’ont rien d’occulte, et Jacques Attali a défendu ses idées et ses conceptions en quelques livres qui furent autant de best-sellers.
Mais Jacques Attali est l’effigie du juif d’où vient tout le mal.
Quand les juifs eurent quitté l’Espagne, les Inquisiteurs firent aussi des effigies qu’ils brûlèrent en place publique.
Les réseaux sociaux ont remplacé les bûchers et font tourner l’image du juif.
Nous sommes tous Jacques Attali.
Guy Konopnicki
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