Il y a 60 ans, je regardais les bateaux dans le port de Nice, je n’avais pas 14 ans, je rêvais d’odyssée sur les mers…
Un navire surchargé venait d’accoster, en provenance d’Algérie et ses passagers ne ressemblaient pas aux caricatures de colons que l’on trouvait alors dans d’excellents journaux. De simples gens, chargés de ce qu’ils avaient pu emporter descendaient sur la passerelle, après avoir longuement attendu l’autorisation de débarquer…
Pour accueillir ces concitoyens qui avaient choisi la valise de carton bouilli plutôt que le cercueil promis à ceux qui restaient, les autorités de la République française avaient aligné deux rangées de gendarmes mobiles.
Je n’avais pas 14 ans, et au long de cette année scolaire 1961-62, j’avais quelque peu délaissé la version et le thème latins pour m’engager dans les combats contre le colonialisme et le fascisme.
J’avais vu des chasses aux faciès menées par la police, dans les rues misérables du XXème arrondissement, où des ouvriers algériens s’entassaient dans les taudis, j’étais révulsé par la répression sanglante de la manifestation des Algériens du 17 octobre 1961, par les bombes que l’OAS posait sur les paliers de militants connus pour leurs engagements en faveur de la décolonisation…
Le De Bello de César et les vers de Virgile pouvaient attendre, je militais au comité antifasciste du lycée Charlemagne… J’étais de toutes les manifestations, je me rêvais Gavroche, et si je ne suis pas tombé à terre, sur le boulevard Voltaire, je le dois à mon inconscience et à ma connaissance du dédale de cours et de passages qui permettaient de rejoindre le Faubourg Saint-Antoine… Heureusement, il n’y avait pas encore de digicodes, sinon, il y aurait eu beaucoup plus de huit morts, ce jour-là, au métro Charonne…
Je ne savais pas grand-chose de l’Algérie, sinon que la France y avait débarqué en 1830, que les indigènes coloniaux étaient privés des droits du citoyen et que l’on envoyait là-bas des centaines de milliers de soldats, sans parvenir à mater la révolte…
Je savais que les paras français pratiquaient la torture, et j’avais lu des textes interdits, comme la brochure du comité Maurice Audin, ce mathématicien, militant communiste, enlevé par les militaires français et nous le saurons, plus tard, froidement exécuté au cours de ce que l’on appelait une corvée de bois…
A la fin de l’année scolaire 1961-62, l’Algérie avait gagné son indépendance et j’étais viré du lycée Charlemagne, relégué dans un collège d’enseignement général, qui, par un étrange hasard, se trouvait sur l’avenue du général Lamoricière, l’un des artisans de la conquête de l’Algérie…
Je passais l’été à Nice, entre la plage et l’atelier de fourrure de mon oncle… Dans les juke-boxes, Dario Moreno chantait « viens twister », les filles étaient toutes Belles Belles, Belles comme l’amour par Claude François, le petit Gonzalès de Dalida refusait de rentrer à la maison et Jacques Anquetil allait remporter le tour de France…
Mais il y avait ces bateaux, dans le port de Nice, et ces gens qui tombaient fort mal, en pleine saison touristique, on n’allait tout de même pas réquisitionner les hôtels, heureusement, pour ceux qui dormaient dehors ou dans les camps improvisés à la hâte, il faisait beau sur la Côte d’Azur en juillet 1962…
Je découvrais que la ligne de partage entre le bien et le mal n’était pas aussi nette que je ne l’avais imaginé.... Les doux révolutionnaires algériens pratiquaient la torture et le massacre de masse, et ils fêtaient l’indépendance, en massacrant joyeusement les civils Français, dont, bien sûr les juifs…
C’est plus tard, beaucoup plus tard que j’ai lu les chroniques algériennes d’Albert Camus, qui avait été pionnier de la lutte contre l’injustice coloniale, et qui n’acceptait pas la terreur du FLN et les bombes dans les tramways qu’empruntait sa mère…
Camus visionnaire, redoutait le régime que mettaient en place les terroristes. Il ne se trompait pas. En 60 ans l’Algérie a connu le parti unique, la dictature militaire, la guerre civile, les massacres au nom de l’islam, la corruption et la confiscation des richesses du pays par une caste d’officiers et de dignitaires. Et les Algériens n’ont jamais fini de quitter leur belle patrie indépendante, pour trouver de quoi vivre dans l’ancienne métropole coloniale.
Curieusement, la gauche française, qui ne souvient pas d’avoir été responsable des pires épisodes de la guerre d’Algérie, quand un gouvernement de gauche couvrait la torture et les incendies de village, la gauche française ne connaît que le mal, forcément colonial et le bien, incarné par l’indépendance.
C’est entendu, le colonialisme était une injustice, et, cependant, il y a soixante ans les Algériens ont gagné le droit de faire leur malheur eux-mêmes.
Et c’est une réussite.
Guy Konopnicki
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