Le statu quo, kézaco ?

Israël.

Arrêter la production d'électricité pendant le Shabbat, renforcer l'enseignement religieux dans les lycées laïcs, réduire la mixité sur les plages, voilà quelques-unes des conditions posées par le parti Yaadut HaTorah pour entrer dans la coalition de Benyamin Netanyahou. Ces tractations ont fuité dans la presse et enflammé le débat, où la nouvelle opposition accuse le Likoud de sacrifier le statu quo sur l'autel de la politique. Mais qu'est-ce que c'est exactement que ce statu quo ? Il faut remonter au mois de juin 1947. David Ben Gourion apprend que l'Onu a envoyé des émissaires, qui seront chargés d'évaluer si le Yichouv est prêt à devenir un Etat, alors que la fin du Mandat britannique approche. Celui qui est alors président de l'Agence Juive comprend aussitôt l'urgence. Il faut veiller à ce qu'aucun des responsables juifs qui vont être interrogés par les représentants des Nations Unies ne mettent de bâtons dans les roues. Et Ben Gourion pense plus précisément aux chefs de file des courants religieux et orthodoxes, qui pourraient s'opposer à la création de l'Etat, s'il devait être défini comme uniquement laïque. Il leur met le marché en mains sous forme d'une lettre. Ben Gourion s'engage à intégrer quatre principes fondamentaux du judaïsme dans les lois du futur Etat, en échange de leur soutien quand ils verront les émissaires de l'Onu. Il s'agit du respect du Shabbat, de la cacherout, du mariage et de l'éducation. Le compromis fonctionne. Les diplomates rentrent à New York avec un rapport positif, le 29 novembre l'Assemblée Générale de l'Onu vote le plan de partage de la Palestine et Israël déclare son indépendance le 14 mai 1948. Quant à Ben Gourion, il tient sa promesse. Et au cours des premières années de l'Etat, les lois nécessaires sont votées. Plus de 75 ans ont passé depuis ce statu quo, la société israélienne a évolué, mais le statu quo reste un pilier du système politique. Les partis orthodoxes le brandissent à chaque réforme pour menacer les coalitions en place qui se risqueraient à le remettre en cause. Et ces partis se sont rendus indispensables au fil des années, comme complément crucial à des majorités parlementaires trop étroites. Et même les coalitions qui se sont formées sans eux - et il y en a eu quelques-unes – n'ont jamais vraiment osé toucher au statu quo, que ce soit par laïcisme ou pour casser le monopole orthodoxe au profit du sionisme religieux, comme avait tenté de le faire la coalition sortante. Et pour la première fois, ce sont les partis orthodoxes eux-mêmes qui prennent l'initiative de remettre le statu quo en question, en mettant en avant la nécessité de protéger et de renforcer le caractère juif de l'Etat d'Israël. Une évolution tout à fait inédite dans l'histoire politique du pays, qui peut s'expliquer par deux facteurs. D'abord la démographie. En 1948, les Juifs ultra-orthodoxes représentaient 1% de la population. Aujourd'hui, ils en représentent plus de 12%. Mais il y a aussi la composition politique du bloc Netanyahou, issu du scrutin du 1er novembre. Sur les 64 députés de la coalition, ils sont au nombre de 18, dont 7 pour le parti ashkénaze Yaadut HaTorah. Et ils savent que certaines de leurs revendications ont le soutien de principe des partis religieux sionistes. Une occasion inespérée donc, de rebattre les cartes. Mais même si la société israélienne est devenue plus traditionnaliste, elle n'est pas disposée à renoncer à sa dimension séculière. Car le statu quo, c'est d'abord une question d'équilibre et de contrat social. Pascale Zonszain

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