Bonjour Arié. Vous nous parlez aujourd’hui de la réconciliation entre les grandes puissances rivales de la région : l’Arabie saoudite et l’Iran. Est-ce un accord important ?
Bonjour. Tout dépend de quel point de vue on se place. Jusqu’en 2016, Riyad et Téhéran entretenaient des relations diplomatiques. Le motif de leur rupture fut l’attaque par des manifestants de la représentation saoudienne à Téhéran, suite à l’exécution par Mohammed Ben Salman d’un célèbre religieux chiite saoudien, dans le cadre de sa guerre intérieure contre certaines élites vues comme corrompues.
En premier lieu, donc, l’argument du traditionnel conflit sunnite-chiite. Mais d’autres raisons, d’ordre stratégique, s’y sont additionnées : la guerre au Yémen, dont le gouvernement est soutenu par le prince héritier saoudien et la coalition internationale dont il a pris la tête, face à la milice houthi, proxy de Téhéran, et le conflit larvé avec le Qatar, sur la question du soutien aux Frères musulmans, dont le point d’orgue fut l’épisode de la crise du Golfe en 2017.
Ces lignes de fracture d’ordre idéologique, religieux et politique ont donc mené à la suspension des relations entre les deux capitales pendant 7 ans. Aujourd’hui, Riyad a estimé que la guerre n’était pas la meilleure réponse à apporter et que la voie diplomatique était plus à même d’apaiser les tensions au niveau régional. C’est déjà le cas au Yémen, où la trêve dure depuis un an et où le dialogue avec les Houthis se poursuit.
Cet accord n’est donc pas un bouleversement majeur en ce qui concerne les deux principaux protagonistes mais un retour à la « normale », après une interruption de quelques années.
La Chine sort grande gagnante de cet accord. Est-ce un coup dur porté au rôle des États-Unis dans la région ?
Il y a un en effet changement majeur pour la Chine, les États-Unis et l’Arabie Saoudite. La première a joué le rôle de médiateur en accueillant les signataires à Pékin. Beaucoup ont qualifié cet accord de triomphe de la diplomatie chinoise et de symbole de « désoccidentalisation » du monde. Déjà présente dans la région au niveau économique (Pékin tient Téhéran, asphyxié par les sanctions américaines, sous perfusion et est le principal client du pétrole saoudien), la Chine s’y engouffre davantage par suite du retrait américain et gagne en légitimité diplomatique en devenant un partenaire indispensable du jeu régional, dominé par la puissance américaine depuis 1945, avec le pacte du Quincy.
Bien que sa sécurité continue de dépendre des États-Unis, notamment au niveau des contrats d’armement (F-35) et du nucléaire civil par exemple, le royaume saoudien, encore marqué par l’inaction de Washington face à l’attaque qu’il a subi de l’Iran en septembre 2019 a, pour sa part, cherché des garanties ailleurs. Cette volonté d’autonomie face aux fluctuations de l’administration américaine est un signal fort envoyé à son allié, trop occupé par la Guerre en Ukraine et ironie du sort, dans sa compétition de puissance avec la Chine.
C’est un véritable camouflet pour Joe Biden, tant au niveau symbolique que stratégique, qui remet en question la capacité des États-Unis à influencer le cours des affaires dans la région.
Et du point de vue israélien ? Peut-on parler d’échec pour la stratégie régionale de l’État hébreu ?
Pour Israël, le constat est plus difficile. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou comptait étendre les Accords d’Abraham à l’Arabie saoudite en convainquant Riyad de s’aligner sur les positions de ses alliés émirati et bahreïni, déjà signataires. Cette priorité de politique étrangère, destinée à faire blocage à l’Iran, est désormais battue en brèche par ce rapprochement jugé « dangereux » par l’ancien Premier ministre Naftali Bennett, qui n’a pas hésité à parler d’échec, de fait, dans la construction d’une coalition régionale contre le régime des mollahs et ses supplétifs au Liban, en Syrie, au Yémen et dans la bande de Gaza. Pour autant, le dialogue entre les autorités israéliennes et saoudiennes n’est pas rompu, Riyad n’y a aucun intérêt, mais rien n’avancera sans une plus grande implication de l’administration américaine qui dépend aussi du débat interne à la société israélienne qui traverse une crise sérieuse.
Quelles seront les retombées de cet accord, d’un point de vue sécuritaire et stratégique notamment ?
Si la teneur de l’accord n’est pour l’instant pas connue et reste à finaliser, ce dernier aura pour effet de rebattre, pour un temps, les cartes des alliances en cours au Moyen-Orient, devenues mouvantes dans un monde désormais multipolaire. Un équilibre certes subtil a été trouvé entre les deux frères ennemis du Golfe, mais les contentieux entre eux demeurent, notamment en ce qui concerne l’hégémonie régionale, le leadership sur le monde musulman et la question nucléaire. Il suffit pour cela de voir comment le Hezbollah et le Hamas, affiliés à l’Iran, se sont félicités de l’accord. Toujours est-il que fort de son succès, Xi Jinping s’est rendu à Moscou pour proposer un plan de paix à Vladimir Poutine avec l’Ukraine, tentant de s’imposer là aussi comme acteur diplomatique de premier plan.
Alain Peyrefitte écrivait il y a 50 ans : Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera. Nous y sommes !
Arié Bensemhoun
Rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran : quelles implications pour Israël et le Moyen-Orient ? Chronique d'Arié Bensemhoun
International.
Publié le 23/03/2023 à 08h15 - Par Gabriel Attal
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