Censure et autocensure, chronique de Richard Prasquier

France.

Censure et autocensure, chronique de Richard Prasquier
(Crédit : DR)
Le samedi 18 mars s’est tenu à Rennes un festival de Rap à guichets fermés, la Boomin Fest. Vous pourrez voir sur You Tube l’arrivée de la vedette accueillie dans la ferveur par les milliers de spectateurs enthousiastes. Il s’agit de Issa Diakhaté, né aux Lilas de père sénégalais et de mère italienne, plus connu sous le nom de Freeze Corleone, double disque de platine, un talent du rap français. Il savourait sa victoire sur la Maire de Rennes, Nathalie Appéré, qui avait essayé d’interdire sa performance. Elle avait été retoquée par le Tribunal Administratif, puis par le Conseil d’Etat, dont les attendus sont sévères: Mme Appéré aurait porté par son arrêté une atteinte grave et illégale à la liberté d’expression, à la liberté de réunion et à la liberté d’entreprendre. Entre autres « J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30», tous les jours R.A.F (rien à foutre) de la Shoah; Pour que ma famille vive comme des rentiers juifs, tous les jours fuck Israël comme si j’habite Gaza. J’suis à Dakar et t’es dans ton centre à Sion»).on apprécierai la délicate allusion aux camps de concentration. Trop de Cohen, contre eux se trouve le courage et la bravoure du 3 ème Reich. ». J’arrête là. Bien sûr il prétend ne pas être antisémite, M. Corleone proteste et renvoie au célèbre Louis Farrakhan. Celui-ci dans une conférence sur l’Armageddon, vient de déclarer à Chicago qu’il n’est pas antisémite, mais comme il ajoute que ce sont des êtres dotés par Satan de pouvoirs excessifs, des Juifs on l’a compris, qui l’accusent d’être un antisémite, on aura quelques doutes… Un antisémite peut aussi parler d’autre chose que d’antisémitisme. M.Corleone avait promis de ne pas reprendre ses textes litigieux dans son spectacle de Rennes. Or, la loi sur la Presse de 1881 qui détermine les cadres de la liberté d’expression ne permet pas une interdiction en quelque sorte préventive, avant que les faits soient survenus. D’autre part, le Conseil d’Etat n’a pas retenu de désordre à l’ordre public créé par la présence du rappeur. Enfin, il n’a pas validé le motif d’atteinte à la dignité humaine, qui avait permis à M.Stirn juge en référés au Conseil d’Etat, d’interdire à Nantes en 2014 le spectacle de Dieudonné, décision avalisée ensuite par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. L’impunité de M.Corleone a été favorisée par la très faible durée des délais de prescription de la loi de 1881, promulguée quand l’écrit était le seul moyen d’expression publique. Il n’y avait alors ni radio, ni micros permettant la prise de parole devant des milliers d’auditeurs, ni évidemment Internet. La loi visait surtout à protéger la liberté d’expression des journalistes. Malgré l’adjonction de paragraphes nouveaux au fur et à mesure que la législation a évolué, son cadre s’adapte mal aux modes de communication contemporains. Il ne faut pas se faire d’illusions, les temps sont à une banalisation des expressions outrancières. Les Juifs ne font pas partie des victimes que la culture actuelle du woke met sous protection et les propos nazis de M.Corleone, même s’ils ont entrainé le départ de son diffuseur Universal, ne l’ont pas empêché de poursuivre une brillante carrière auprès d’un public auquel il imprime, sans compter le reste, l’idée que les Juifs, par leur insistance sur la Shoah, sont responsables de l’oubli de l’esclavage. Le curseur entre la liberté d’expression et la répression de ses abus ne se situe pas partout au même endroit, les États Unis étant par exemple plus permissifs que la France. C’est là un classique du droit dont l’intérêt est renouvelé avec les excès des réseaux sociaux et la difficulté de les contrôler. Autocensure ? Il y a un autre danger, contre lequel il est encore plus difficile de lutter, et dont la nocivité est d’autant plus grande que, d’une certaine façon, toute société humaine en a besoin pour subsister, c’est celui de l’autocensure. La loi Avia sanctionnait avec de lourdes amendes les hébergeurs qui ne retiraient pas très vite les écrits incriminés, et l’un des motifs de son abrogation par le Conseil Constitutionnel a été que, par prudence, les algorithmes de contrôle allaient se durcir au point d’entraver des propos non répréhensibles, donc que la liberté d’expression serait atteinte: ce serait pour les hébergeurs un cas d’autocensure par peur du gendarme. Lorsque un journaliste ou un enseignant évite certains sujets en pensant aux assassinats de Charlie Hebdo ou de Samuel Paty, c’est de l’autocensure par peur du méchant. Lorsque un Recteur d’Université, comme cela vient de se produire à Orleans, restreint une activité contre l’antisémitisme au motif, évidemment non exprimé noir sur blanc, que cela pourrait entrainer des réactions hostiles de la part des jeunes musulmans, c’est de l’autocensure par peur des vagues, l’une des plus pernicieuses et des plus répandues dans la société d’aujourd’hui. Richard Prasquier

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