Je vous l'accorde, le billet de ce matin aurait plutôt sa place en rubrique culture, ou même dans un programme de musique. Et puis, Yeonatan Geffen n'est pas forcément un nom connu hors d'Israël. Mais cette chronique parle d'Israël et Yeonatan Geffen aussi. Hier, on a appris sa disparition à l'âge de 76 ans, et l'air est devenu tout d'un coup un peu triste. Yeonatan Geffen, c'était des textes, des poèmes, des mots qui touchaient tout de suite au cœur. Il était l'incarnation de la Bohème de Tel Aviv des années 70 et 80, celle de l'élite aussi. Sa mère était la sœur de Moshe Dayan. Mais c'est par ses propres mérites que Geffen s'est fait connaitre. Il est encore appelé de Tsahal quand il écrit des poèmes pour sa petite sœur de 4 ans, il écrira d'ailleurs de nombreuses histoires pour enfants, mises en musique et qui ont fait grandir des générations d'Israéliens. La voix de Yehudit Ravitz qui chante "Hayalda ah'i yaffa bagan" a servi à consoler des milliers de petites filles sur les bancs des écoles maternelles. Dès les années 70, on le retrouve aux côtés des plus grands noms de la musique et du cinéma israélien et avec eux, il fait entrer l'air frais, l'humour, l'attitude et le rythme rock, jusque-là inconnus des Israéliens. Il écrit pour Arik Einstein, pour Gidi Gov et Kaveret. "Yonatan Sa Habaïta" c'est l'histoire d'un Israélien de ces années-là, qui part découvrir le monde, comme on commençait à le faire à l'époque, après la guerre de Kippour, mais le refrain est comme un appel : "Yonatan, rentre à la maison, rentre en Eretz Israël". Parce que finalement, c'est là,la maison. Yeonatan Geffen capte, attrape avec ses mots tous ces petits traits qui font le portrait de ses compatriotes. Parfois d'ailleurs, il les place devant un miroir sans concession, mais toujours avec amour. Car il fait partie de ceux qui sont nés en même temps que l'Etat. La vraie première génération d'Hébreux. Et ça n'est pas simple, surtout pour Yeonatan Geffen, qui doit aussi combattre ses démons et ses drames familiaux qui le plongeront aussi dans la drogue et l'alcool. Mais parce qu'il a tout pris de front, combattu en 67 et en 73, où il avait d'ailleurs été grièvement blessé, il s'est autorisé à tout dire. Cela donne des prises de position très polémiques sur le conflit israélo-palestinien, avec des engagements très à gauche, mais où le goût pour la controverse et la provocation jouait aussi son rôle. Il était l'un de ces jeunes Israéliens à la fois tellement surs d'eux, insouciants mais fragiles, qui roulaient des mécaniques sans se prendre au sérieux, libres dans un nouveau pays mais où la guerre n'est jamais loin. Les textes de Yeonatan Geffen, dans ses romans, ses pièces de théâtre, dans ses paroles de chanson, que de nombreux Israéliens connaissent pas cœur, parce qu'ils les représentent tellement, racontent leur histoire, celle où l'abondance n'était pas encore tout à fait là, mais où l'on voyait le pays se construire, où l'on parle de petit prince et de chocolat, ou du café noir et épais d'avant les machines à espresso. Déjà une nostalgie d'une époque disparue, mais qui est entrée dans l'ADN israélien. Et c'est pour cela qu'on pardonnait tout à Yeonatan Geffen, même ses excès. "Lama lo ah'chav", pourquoi pas maintenant quand il parlait de la paix, qui viendrait forcément, demain. Toujours l'optimisme était là, la légèreté aussi, même dans la gravité. Après Meir Shalev la semaine dernière, c'est Yeonatan Geffen qui s'en est allé hier. Tous les deux venaient du moshav Nahalal en Galilée, où ils ont grandi ensemble. Lui aussi est rentré à la maison.
Pascale Zonszain
Yeonatan Geffen, les mots de l'ADN israélien
Culture.
Publié le 20/04/2023 à 10h21 - Par Gabriel Attal
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