L'événement n'aurait jamais dû dépasser la rubrique People. Dans la fièvre de la finale de l'Eurovision, Noa Kirel attend avec anxiété le verdict des jurés, pays après pays. Et quand la Pologne annonce : " Israël, douze points ", la note maximale, la jeune chanteuse israélienne laisse exploser sa joie. Jusque-là, tout est normal. Mais au micro de la chaine israélienne, elle ajoute : " Recevoir douze points de la Pologne après ce que notre peuple et ma famille ont subi pendant la Shoah, c'est une vraie victoire ". Et l'information fait lentement son chemin vers Varsovie, jusqu'à arriver aux oreilles du vice-ministre polonais des Affaires étrangères, qui annonçait le 20 mai son intention d'inviter Noa Kirel à se rendre en Pologne, " pour comprendre pourquoi elle traite ainsi notre patrie, pour lui expliquer pourquoi cela nous blesse (…) et aussi pour parler de l'histoire commune de nos deux nations ", expliquait Pavel Jablonski, ajoutant que les propos de la jeune femme étaient le résultat " des carences éducatives et du manque d'information " des jeunes Israéliens. Eh oui, si Noa Kirel se souvient de ce qui est arrivé en Pologne à sa famille et aux six millions de Juifs assassinés pendant la Seconde guerre mondiale, c'est parce qu'elle a été mal éduquée.
On a quelque peine à comprendre qu'un représentant du gouvernement polonais ait pu voir une telle offense dans les propos de l'inoubliable interprète de "Unicorn". Et le caractère disproportionné de la réaction pourrait presque faire rire, s'il n'était pas aussi révélateur. La Pologne est devenue beaucoup plus chatouilleuse ces dernières années sur tout ce qui touche à son rôle dans l'histoire de la Shoah. Une loi votée il y a cinq ans pénalise toute mention de responsabilité de la Pologne dans l'entreprise nazie d'extermination du peuple juif sur son territoire. Le gouvernement nationaliste tient à ce que les exactions commises par des Polonais ne soient présentées que comme les exceptions tandis que la règle était l'héroïsme de la nation polonaise dans le sauvetage des Juifs. Sauf que la réalité est nettement moins reluisante. Et pour 7.232 Justes parmi les Nations, le plus haut chiffre attribué par le Mémorial de Yad Vashem, combien de Polonais ont commis des persécutions contre les Juifs, avant, pendant et après la Seconde guerre mondiale.
Et l'entreprise de blanchiment de l'histoire polonaise ne s'arrête pas là. L'accord signé le mois dernier entre Israël et la Pologne sur la reprise des visites des lycéens israéliens prévoit une extension de l'itinéraire des jeunes Israéliens, qui ne se limitera plus à la visite des camps d'extermination, mais pourra inclure des sites historiques, tels que la maison d'une famille polonaise exterminée avec les Juifs qu'elle avait cachés, ou le musée à la mémoire des "soldats maudits", des Polonais qui ont combattu après la guerre contre l'instauration du régime communiste, y compris en massacrant des Juifs. Le mémorial israélien de Yad Vashem avait d'ailleurs critiqué l'ajout de certains sites qu'il avait qualifiés de problématiques et qui ne devraient pas être visités dans un cadre éducatif. "Les voyages scolaires en Pologne doivent veiller à une totale rigueur historique, y compris sur le rôle de certains Polonais dans la persécution, la dénonciation et le meurtre de Juifs durant la Shoah, tout comme dans les actes de sauvetage" avait spécifié l'institution israélienne. L'épisode Noa Kirel n'est donc qu'un symptôme d'un problème qui engage aussi la responsabilité d'Israël. Les enjeux diplomatiques de bonnes relations avec la Pologne dans le contexte géostratégique actuel ne justifient pas tout. Et les licornes ont aussi le droit à la parole.
Pascale Zonszain
La Shoah, la "licorne" et la Pologne
International.
Publié le 23/05/2023 à 09h32 - Par Gabriel Attal
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