A partir de la semaine prochaine, le débat politique va se déplacer à la Cour Suprême. Avec la possibilité que les juges retoquent certaines dispositions de la réforme judiciaire. Et mettre en lumière un clivage profond sur le sionisme politique. Hier déjà, le président de la Knesset a estimé qu'Israël se trouvait à une "croisée des chemins inédite et dangereuse" selon ses termes. "La Knesset ne se laissera pas piétiner sans réagir" a averti Amir Ohana, qui considère que si la Haute Cour de Justice décide à la place des élus du peuple, elle conduira à une situation sans précédent dans un Etat démocratique. Et il a demandé aux juges de fixer les limites de leur pouvoir et de ne pas toucher aux lois fondamentales. Car cela reviendrait aussi à annuler toutes les jurisprudences précédentes fondées sur ces lois fondamentales. "Dans une démocratie, c'est le peuple qui est le souverain", a affirmé le président du parlement israélien. Et on a entendu un discours similaire de la part d'un groupe de rabbins, parmi les plus influents du courant nationaliste religieux, qui ont publié hier un texte affirmant qu'en Israël, la seule autorité légitime est celle de la majorité telle qu'elle s'exprime par les élections, la Knesset et le gouvernement. "Il n'y a aucune autre autorité étatique qui les surpasse" ont écrit les rabbins dans une lettre ouverte.
Une partie du débat qui va se jouer à partir de la semaine prochaine à la Cour Suprême et qui a déjà commencé depuis des mois, c'est celui de l'opposition de deux conceptions : celle d'une démocratie de type libéral et celle d'une démocratie plus conservatrice mais aussi plus religieuse. Un essai publié il y a 25 ans et intitulé "l'Ane du Messie", reparait ces jours-ci en Israël. Son auteur Sefi Rachlevsky, un laïciste convaincu, avait fait scandale à l'époque, car il annonçait et dénonçait une radicalisation du sionisme religieux, en s'appuyant sur une analyse développée par le Rav Avraham Itzhak Kook, qui fut le Premier Grand Rabbin de la Palestine mandataire. Interrogé au début du siècle dernier par des rabbins qui s'inquiétaient que le mouvement sioniste soit porté par des Juifs non religieux, le Rav Kook leur avait expliqué que ces Juifs laïcs étaient comme l'âne qui portera le Messie vers Jérusalem. Ces pionniers, débarrassés des faiblesses de la diaspora, sont les seuls à pouvoir fonder l'Etat d'Israël, première étape matérielle incontournable vers la rédemption et ils font partie intégrante du projet divin. Il faut en passer par un Etat matérialiste avant de pouvoir rendre au judaïsme la place qui lui revient.
C'est ce qui motive largement la droite nationaliste religieuse à soutenir la réforme judiciaire. En hébreu, c'est la même racine qui désigne l'âne – H'amor – et la matière – H'omer. Et pour un certain courant du judaïsme nationaliste, porté notamment par le Rav Dov Lior, un des signataires de l'appel, le moment est venu de quitter la conception libérale du sionisme politique, celle qui tient aux contrepouvoirs et à une forme d'universalisme, pour revenir au seul pouvoir de la majorité. Aujourd'hui, ce courant est celui qui siège à la Knesset dans les partis Sionisme Religieux de Betsalel Smutrich et Puissance Juive d'Itamar Ben Gvir, qui s'en réclament ouvertement et ont pris le pas sur des courants plus modérés du sionisme religieux. Les débats qui vont se dérouler devant la Cour Suprême sont donc loin d'être seulement techniques. Et la responsabilité des juges n'en sera que plus lourde.
Pascale Zonszain
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