À l’approche d’une année 2024 à haut risque, les autorités craignent de nouvelles attaques terroristes. En dépit d’une accalmie sur le front des attentats, la menace djihadiste est plus que jamais présente.
Beaucoup d’événements sont attendus : les Jeux olympiques et leur cérémonie d’ouverture inédite, on fêtera le 80e anniversaire des débarquements de Normandie et de Provence avec leurs cortèges de chefs d’État. Sans oublier les élections européennes, les événements classiques (14 juillet, Tour de France…) et toutes les autres occasions imprévues que pourraient saisir des terroristes souhaitant frapper la France. À l’aube de cette année à risque, les autorités redoutent le scénario du pire.
«La menace exogène va revenir très certainement, du fait de la géopolitique mondiale, et touchera bien sûr sans doute notre pays.» Darmanin
Invité du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure le 19 septembre dernier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a évoqué très clairement «le risque d’un nouveau Bataclan» et noté que «la menace exportée» depuis des zones de djihad (Sahel, Levant, Afghanistan) «grandit à mesure que le temps passe».
Le scénario redouté par la France : des attentats islamistes conçus à l’étranger et mis en œuvre par des équipes envoyées en France ou s’y trouvant déjà. Les services de renseignements ont détecté, à travers l’Europe, des «relais» terroristes au sein même de «groupes communautaires».
Le risque d’un nouveau Bataclan
Aussi ces filières, financées par les trafics de drogue, sont de nouveau actives depuis que les talibans ont repris le pouvoir en Afghanistan . Les terroristes pourraient également profiter de la vague migratoire venant d’Afrique et du Maghreb. Cette menace, prise très au sérieux, pèse en réalité depuis plus d’un an. En Syrie, en Irak, l’État islamique n’est pas mort. Au Sahel, dans un contexte de dégradation de la situation sécuritaire, mais aussi en Afghanistan, l’organisation terroriste gagne du terrain, alors même qu’al-Qaida et ses filiales demeurent dynamiques.»
Dans les douze derniers mois, plusieurs coups de filet, visant des individus vivant en Europe ou en Asie centrale. Ainsi, en novembre 2022 à Strasbourg a eu lieu l’interpellation par la DGSI de deux radicalisés, un Russe et un Tadjik, «téléguidés» depuis l’extérieur. Le danger ne se limite bien sûr pas à l’Hexagone et d’autres interpellations ont été effectuées en Suède ou encore aux Pays-Bas. En juillet dernier, des terroristes originaires d’Asie centrale ex-soviétique ont été arrêtés aux Pays-Bas et en Allemagne. Ils avaient transité par l’Ukraine et étaient liés à l’État islamique au Khorasan, la branche afghane de Daech.
Aujourd’hui 5273 islamistes en puissance menacent sur le territoire national
Anciens revenants des zones de combats, sortants de prison ou encore radicalisés sur internet, tous font l’objet d’une «fiche active» dans le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). «Les services pensent que ces personnes sont susceptibles de passer à l’acte ou en contact avec d’autres pouvant passer à l’acte», a reconnu le 20 septembre dernier Gérald Darmanin, dans un entretien au quotidien régional Ouest-France.
Isolés, peu expérimentés, ils répondent aux messages de haine en employant des moyens rudimentaires, tels que l’arme blanche ou la voiture bélier. Cette génération spontanée versée dans le djihad est la grande difficulté pour la défense. Parmi les onze derniers islamistes interpellés avant de commettre un projet terroriste, un seul était dans le viseur des services spécialisés. «C’est le risque principal depuis trois ans où l’on évoque volontiers le concept de «djihadisme d’atmosphère» développé par le politologue Gilles Kepel . Ainsi, le 17 avril 2021, Leila B., 18 ans, avait regardé une insoutenable séquence de Daech montrant comment tuer au couteau, avant de se faire interpeller à Béziers alors qu’elle cherchait à confectionner une bombe. Une semaine plus tard, le terroriste Jamel Gorchene avait quant à lui écouté des nasheed, des chants religieux, sur les réseaux avant de tuer froidement Stéphanie Monfermé, à Rambouillet.
Les jeunes, souvent mineurs, gagnés par cette idéologie de mort
L’engagement de mineurs dans des organisations islamistes remonte en fait aux années 2000. Les mineurs sont d’ailleurs souvent au premier rang dans les dernières interpellations en date. Il en va ainsi de la mise en examen, en mars, d’un lycéen des Alpes-Maritimes. Âgé de 17 ans, il voulait commettre une attaque au couteau et était en contact avec des individus en Europe et en France, deux majeurs récemment mis en examen. Fin août début septembre, trois autres mineurs de 15 et 16 ans étaient interpellés par la DGSI à Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire). L’un des trois avait prêté allégeance à l’État islamique et aurait souhaité partir en zone syro-irakienne. Comme pour les majeurs, le djihad a joué un rôle de catalyseur pour les ados de Daech. Ces dernières années, des dizaines d’adolescents ont ainsi été poursuivis pour des faits de terrorisme islamiste. En janvier 2017, François Molins, alors procureur de la République de Paris, avait noté que le nombre de mineurs mis en examen dans des dossiers terroristes était passé de 13 en 2015 à 51 en 2016.
Troubles psychiatriques : policiers et médecins agissent de concert pour soigner « ces fous de Dieu »
L’an dernier, 15,8% des personnes enregistrées dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste présentaient des troubles psychologiques ou psychiatriques identifiés, sans compter les cas non repérés. La détection de ces profils est une priorité pour les services antiterroristes qui, pour ce faire, ont aussi besoin d’un éclairage médical informel. un important travail de sensibilisation s’opère entre le monde du renseignement et celui des soignants. Car les praticiens le savent: les radicalisés qui arrêtent leur traitement deviennent de vraies bombes à retardement.
Les services de renseignement se renforcent
Depuis les attaques kamikazes qui ont frappé Paris le 13 novembre 2015 (130 morts et 413 blessés), le renseignement français a connu une grande reforme. À elle seule, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), chef de file de la lutte antiterroriste, a augmenté de 50 % ses effectifs pour désormais franchir la barre des 5000 agents. Le renseignement humain reste au cœur de l’activité des services spécialisés, mais il n’est pas seul.
Grâce à la dernière loi de programmation, les services ont augmenté leur arsenal technique dans le domaine de captation des données à distance et des interceptions des communications satellitaires. La commission nationale de contrôles des techniques de renseignements fait état de 89.500 demandes. La prévention du terrorisme reste le principal motif de surveillance, avec 38 % des techniques mobilisées, pour espionner au total 6 478 suspects. Une telle montée en puissance permet de suivre les radicalisés à la trace et de frapper à la moindre entorse.
Selon un dernier bilan du ministère de l’Intérieur, quelque 795 étrangers inscrits au FSPRT ont été réexpédiés dans leur pays d’origine depuis le 1er janvier 2017. Tous font l’objet d’une «mesure anti-retour», marquée d’une interdiction définitive de territoire. Mais la lutte est transnationale, comme en témoigne une opération menée le 28 septembre dernier par Europol et TikTok: impliquant onze pays, elle a permis de détecter 2 145 contenus suspects, parmi lesquels des vidéos en lien avec le djihadisme.
Michel Zerbib
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