En Suisse, près d’une centaine d’organisations d’extrême gauche, de lieux militants, d’associations et de collectifs artistiques, sportifs ou étudiants ont signé fin janvier une charte définissant une « zone libre d’apartheid israélien », refusant « de collaborer avec le régime d’apartheid établi par le gouvernement israélien sur le peuple palestinien ».
L’idée, qui vise notamment à « rejeter les projets culturels, académiques ou sportifs visant à détourner l’attention du crime d’apartheid », a rassemblé 92 signataires, en grande majorité à Genève, mais aussi à Lausanne et à Fribourg.
Parmi eux : le centre culturel de l’Usine (subventionné par la ville de Genève), la Ligue suisse des droits de l’homme, Unia Genève, le Café La Petite Reine, des cinémas, des galeries, des librairies, l’association faîtière des étudiants de l’université de Genève ou encore celle des étudiants de la Haute Ecole en travail social.
Dans ces lieux, les personnes ayant un lien avec Israël ne sont ainsi pas les bienvenues.
La CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation) a vivement réagi dans un communiqué : « C’est au travers d’une discrimination basée sur l’appartenance et l’identité que ce mouvement prétend créer des lieux et évènements ‘exempts de racisme et de toute forme de discrimination’. À lire cette charte, les citoyens du seul État juif seraient racistes par nature, peu importe leurs sensibilités, opinions et engagements. Cette campagne est scandaleuse et inique ! »
L’association anti-raciste dénonce ainsi « un ‘cordon sanitaire’ qui exclurait, de fait, une population entière dans toutes ses nuances. Une mesure dont s’enorgueillissent les signataires. Les mêmes acteurs qui revendiquent quotidiennement une politique de non-discrimination et d’inclusion s’entendent pour exclure tout citoyen de l’État d’Israël, seul État juif de la planète, au seul motif de leur citoyenneté. »
« Imaginer qu’à Genève, ville des Droits de l’Homme, des lieux de culture censés favoriser l’échange entre artistes, intellectuels ou sportifs deviennent le théâtre de leur exclusion fait froid dans le dos. Une censure et un boycott qui touchent non seulement les Israélien-nes, mais également celles et ceux qui coopèrent avec eux », a-t-elle ajouté. « Comment qualifier l’attitude de ces lieux culturels, centres sociaux, organismes sportifs, étudiants, humanitaires ou syndicaux qui s’associent à un tel appel ? Alors que la question de l’inclusion est cœur des priorités de la Cité, la CICAD en appelle aux autorités afin que des mesures soient prises pour que cesse cette pratique discriminatoire scandaleuse. Est-on en droit de penser, aujourd’hui, que des endroits à Genève soient ‘Judenfrei’ ? C’est à l’ensemble des signataires qu’il faut aujourd’hui poser la question. »
Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, a ajouté auprès de la RTS que « si on se réfère aux déclarations d’Amnesty International sur la définition de l’apartheid, la déclaration de l’AFZ ne laisse aucune place à l’ambiguïté : ce sont les Juifs israélien.nes qui sont ciblés au sens large. Je m’attriste de voir combien cet élément ne semble aucunement bouleverser les milieux engagés pour ces zones free apartheid. Mais la CICAD entend bien rester de son côté mobilisée ».
Selon Sébastien Desfayes, député du Parti démocrate-chrétien (droite), « l’utilisation du terme free-zone et le fait de s’en prendre à des biens ou des personnes pour leur origine israélienne pose des questions importantes. On ne doit pas discriminer, surtout à Genève ! Le rôle de Genève est de dialoguer, promouvoir la paix et non pas séparer, discriminer et propager la haine ».
Sami Kanaan, responsable de la culture à la Ville de Genève, a lui nié le caractère discriminatoire de la démarche. Il a affirmé que « la Ville a toujours fermement condamné toute forme de discrimination basée sur des critères d’appartenance religieuse, ethnique, d’origine ou de genre. Ceci étant, cet appel, même s’il est effectivement formulé de manière très radicale, constitue une critique frontale de la politique des autorités israéliennes et appelle à boycotter les activités et projets pouvant être qualifiés de soutien à cette politique. Ceci relève donc de la libre expression démocratique, et il n’y a pas lieu de remettre en question des subventions sur cette base. Un amalgame avec de l’antisémitisme est particulièrement excessif et déplacé. Évidemment, nous restons très attentifs face à tout dérapage et interviendrions sans hésiter si nécessaire. »
Comme ailleurs en Europe et en Amérique du Nord, les actes antisémites ont augmenté en Suisse, notamment sur les réseaux sociaux et dans les écoles, depuis les attaques contre Israël le 7 octobre. Selon la CICAD, qui a déploré une « avalanche » de témoignages d’actes antisémites, « un nombre qu’on n’avait pas connu sur un temps aussi court », ces cas concernent surtout le canton de Genève, suivi de celui de Vaud.
« On est pour le moins interpellés par le fait que, certes, il y a des messages individuels [de soutien] qui s’expriment, mais que globalement, dans la collectivité cantonale, qui est le Conseil d’État, on n’entend pas un message à la fois rassurant, de solidarité et de fermeté, face à ce qu’on a déjà pu constater depuis le 7 octobre. Ce qui paraissait somme toute extrêmement simple », avait expliqué Johanne Gurfinkiel fin novembre.
En novembre, le gouvernement fédéral suisse avait décidé d’interdire le groupe terroriste islamiste palestinien du Hamas.
Gabriel Attal
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