Bonjour Arié Bensemhoun, cette semaine, vous souhaitez évoquer la naïveté et la paresse stratégique européenne
Bonjour,
Avec la chute de Bachar el-Assad, les missions diplomatiques européennes reviennent en Syrie. Chacun cherche à regagner de l’influence dans un pays où l’Europe a perdu son poids. Les regards se tournent vers le nouvel homme fort, Ahmad al-Shara, dit al-Jolani, dans l’espoir d’influer sur une transition politique complexe et de combler le vide laissé par les Russes et les Iraniens.
Douze ans après la fermeture de son ambassade à Damas, la France n’est pas en reste : son drapeau flotte à nouveau sur l’édifice. Longtemps, la Syrie a été un pilier de la politique arabe de la France, et Bachar el-Assad était perçu, au début des années 2000, comme un partenaire clé : un modernisateur, un "despote éclairé" et un rempart contre l’islamisme. Mais la cruauté dont il a fait preuve à l'encontre de son propre peuple a rapidement balayé ces illusions.
Puis vint l'erreur majeure de l'Occident : la non-intervention militaire après le massacre de la Ghouta, le jour où le monde démocratique oublia qu'il fallait parfois recourir à la force pour faire triompher le droit.
En août 2013, lors d'un double bombardement au sarin, les forces de Bachar el-Assad massacrèrent près de 2 000 personnes dans la banlieue de Damas. Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui avaient tracé une ligne rouge sur l’utilisation d’armes chimiques, trahirent leur parole et leurs valeurs en n’intervenant pas en Syrie.
Cette erreur morale et stratégique a permis à Daesh de prospérer, à l’Iran de renforcer son emprise régionale, et à la Russie de s’implanter en Syrie tout en se repositionnant comme une superpuissance mondiale. Cette absence de vision à long terme a aussi incité Vladimir Poutine à attaquer l’Ukraine en 2014, convaincu que les Occidentaux resteraient passifs – et il avait raison.
De cette grave erreur est né le déclin géopolitique de l’Occident, accompagné d’une torpeur stratégique qu’il est grand temps de corriger.
Surtout qu’Arié, il y a urgence, car le monde devient de plus en plus dangereux…
Absolument.
Nous ne sommes plus en temps de paix. Nous traversons la période la plus périlleuse de nos existences.
L’Europe, longtemps endormie dans une illusion de sécurité, redécouvre la guerre, la brutale réalité de ce monde, et les ressentiments de peuples avides de revanche.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Occident a conçu un cadre de lois et d’institutions internationales pour préserver la paix naissante et promouvoir la démocratie.
Pourtant, un paradoxe s’est progressivement installé au sein de cet ordre mondial : les outils créés pour défendre les idéaux de liberté et de justice sont désormais détournés et exploités par des États qui incarnent l’opposé de ces valeurs, les utilisant contre ceux qui en sont les gardiens.
Et notre complaisance face à cette situation est intolérable.
Les vieux pays européens sont devenus des enfants candides et naïfs. Nous avons cessé de nous comporter en nations souveraines, comme si l’Histoire avait pris fin.
L’invasion russe en Ukraine aurait dû susciter un grand sursaut collectif, mais, bien que les efforts et les réponses apportées aillent dans le bon sens, ils demeurent bien trop faibles.
Arié, en quoi la France et l’Europe pourraient-elles s’inspirer d’Israël ?
Il y a bien des aspects dont nous pourrions nous inspirer…
Mais si je devais en retenir un seul, ce serait la vision à long terme. Israël a une vision stratégique, un cap clair qui transcende les clivages politiques et unit la nation.
Israël est une puissance géopolitique mondiale qui s’affirme, un Etat souverain qui s’assume.
Là où nous, Européens, avons cessé de jouer notre rôle historique, nous naviguons à vue, peinons à nous organiser et à assumer nos tâches régaliennes, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Bien qu’il dépende des Américains dans de nombreux domaines, Israël ne délègue sa sécurité à personne. Depuis le 7 octobre, il n’est plus question de compromission ni de courber l’échine. Si les Israéliens avaient cédé aux exigences et caprices de leurs alliés, le Hamas et le Hezbollah seraient toujours debout, et leurs dirigeants, toujours aussi nuisibles.
C’est précisément par cette fermeté — que certains tentent de présenter comme de l’intransigeance, voire de l’entêtement — qu’Israël a brisé ses ennemis, renforcé considérablement sa sécurité et pourrait même, prochainement, entrevoir la libération des otages – espérons-le.
Alors que Donald Trump s’apprête à revenir au pouvoir le 20 janvier prochain, l’Europe doit d’urgence construire une autonomie stratégique. Il est impératif de bâtir une Europe superpuissance économique, géopolitique et militaire.
Assez de la naïveté ambiante et de la paresse stratégique. Ce monde est au bord du précipice. Ce qui est en jeu, ce sont nos nations, nos valeurs, nos civilisations.
L’heure est au réveil, et vite.
Arié Bensemhoun
L'espace des commentaires est ouvert aux inscrits.
Connectez-vous ou créez un compte pour pouvoir commenter cet article.