«La plupart de ce que nous comprenons dans le discours public ne réside pas dans les mots eux-mêmes, mais dans la compréhension non consciente que nous apportons aux mots». Cette phrase d’un linguiste américain, George Lakoff, permet d’appréhender les ressorts manipulés dans la guerre des mots qui cherche à façonner l’opinion, fait rage contre Israël et pour laquelle le terme de propagande n’est qu’un vernis superficiel. De fait, prétend Lakoff, le sens que nous donnons au monde qui nous entoure ne provient pas d’un affadissement d’idées transcendantes dont nous chercherions, comme le veut la tradition platonicienne, à retrouver la pureté première, mais d’un bricolage subjectif fondé sur notre bagage de sensations et e’expériences et incarné dans des métaphores conceptuelles.
Lorsque Dominique de Villepin dit que «Gaza est un camp de concentration à ciel ouvert», chacun comprend ce qu’il insinue: Gaza, c’est Auschwitz. Et pourtant le terme de camp pourrait s’appliquer à un rassemblement de scouts et la population de Gaza est bien concentrée sur un territoire restreint. Le «ciel ouvert » n’est pas là pour dire que les Gazaouis peuvent voir le soleil, mais que tout ce qui s’y passe s’effectue sous nos yeux: nous sommes coupables si nous ne le dénonçons pas. Faire passer par sauts métaphoriques presque insensibles d’une réunion de scouts à la Shoah est le fait d’un communiquant redoutable. Je m’abstiendrai néanmoins de féliciter M. de Villepin. Sa glissade dévoyée de métaphores conceptuelles s’apparente à de la pornographie langagière: Gaza n’est pas Auschwitz.
Les accords dont nous suivons le déroulement ont été décrits par certains journalistes comme des «échanges de prisonniers». La dérive sémantique vaut la peine d’être analysée.
Evoquant un otage, le commun des Français ne pensera pas au roi Jean le Bon détenu à Londres dans des conditions princières, mais à celui ou celle qui par malchance sert de paravent ou de monnaie d’échange à un criminel, ou aux Francais enlevés par des organisations islamiques au Sahel ou au Liban. Etre otage implique innocence, chantage et parfois sévices. Un preneur d’otage est forcément un malfaiteur, mais un prisonnier non, et un gardien de prisonniers non plus. Mais la confusion ne sert pas seulement à déculpabiliser le Hamas, elle permet de culpabiliser les Israéliens, dont l’emprisonnement devient légitime puisque, civils ou soldats, ils font la guerre aux Palestiniens, tout comme des Palestiniens sont emprisonnés pour avoir combattu contre Israël. Cela inclut Kfir Bibas, deux ans ,qui pourrait plus tard lui aussi faire la guerre aux Palestiniens……..
«Petit Jésus palestinien» n’est pas encore une expression courante, mais la métaphore fait son chemin et il est triste de voir que la non réaction du Pape lui donne un semblant d’authenticité.
Faut-il rappeler que le nom de Palestine n’apparait pas dans les Evangiles car il a été imposé par l’Empereur Hadrien à la suite de la révolte de Bar Kochba, 100 ans après la crucifixion de Jésus? Faut-il rappeler que Mahmoud Abbas nie que Jérusalem ait été juive, et qu’il prétend, contre toute donnée scientifique que les Juifs descendent des Khazars? Bien sûr, on peut supposer que le keffieh n’est qu’un symbole de la souffrance des enfants de Gaza. Mais l’image de Jésus palestinien fait son chemin depuis plusieurs années déjà. Bientôt va en dériver une métaphore conceptuelle encore plus toxique, sur laquelle insiste Yonathan Arfi, président du Crif: si Jésus est Palestinien, alors les même Juifs qui sont responsables du génocide palestinien sont les mêmes qui étaient déjà responsables du déicide.
On en vient à la dérive langagière aujourd’hui la plus grave envers Israël, l’accusation de génocide. Ce crime n’est pas défini par des critères quantitatifs, mais un élément est indispensable, l’intention.. Où l’Afrique du Sud, porteuse devant la CIJ de l’accusation contre Israël l’a-t-elle trouvé? De trois phrases ,à l’emporte-pièce de responsables politiques israéliens (dont un ministre insignifiant) émises dans l’émotion du 7 octobre et qu’on peut résumer à «on va les liquider, ces fils de….».
La CIJ a estimé qu’elle devait réfléchir et qu’Israel devait prendre des précautions humanitaires envers les Gazaouis. Sa décision de ne pas décider pour mieux cogiter sur les critères de l’intentionnalité a eu des conséquences désastreuses et a été présentée par les ennemis d’Israel comme une confirmation du génocide.
Le grand public n’a que faire d’arguments juridiques subtils: la métaphore conceptuelle du génocide a évidemment glissé vers Auschwitz. Israël génocidaire efface l’image troublante des Juifs exterminés. Désormais se profile le vrai génocide, la Neqba, et la vraie victime, le Palestinien, qui subit, dit le nouveau chef du Hamas, Khalil Huyya, un génocide «comme il n’y en pas eu dans l’histoire».
Il faut lutter, il faut hurler….
Richard Prasquier
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