Bonjour Arié Bensemhoun, cette semaine, vous souhaitez revenir sur la situation en Syrie et les massacres qui sont survenus ces derniers jours.
Bonjour,
Les 5 et 6 mars derniers, les forces de sécurité syriennes ont été prises pour cible par d’anciens membres de l’armée de Bachar el-Assad, qui se sont reconstitués dans les régions côtières de Banias, Lattaquié et Tartous, majoritairement alaouites.
Face à ce début d’insurrection, le nouveau pouvoir central et le président syrien, Ahmed al-Sharaa, anciennement al-Jolani, ont lancé un appel général pour réprimer la rébellion pro-Assad, accusant l’Iran et le Hezbollah d’en être les instigateurs.
Pendant quatre jours, les barbares islamistes se sont déchaînés dans une frénésie vengeresse d’une cruauté inouïe : plus d’un millier de civils alaouites et chrétiens ont été humiliés et massacrés, car soupçonnés de soutenir l’ancien régime des el-Assad et d’être complices de ses décennies de crimes.
Bien que les autorités syriennes aient annoncé la fin des opérations, il reste toujours près de 5 000 rebelles pro-Assad qui se sont réfugiés dans les zones montagneuses, et ce n’est qu’une question de temps avant que la situation ne dégénère de nouveau.
Ces événements nous rappellent que, malgré la chute du « Boucher de Damas », la Syrie demeure dans une situation extrêmement précaire, où plane toujours l’ombre de la guerre civile.
Arié, quelles sont les implications de ces massacres pour la nouvelle Syrie ?
Ce sont les premières violences de masse tant redoutées, les premières secousses qui ébranlent le nouveau pouvoir. Les chancelleries occidentales, qui s’étaient précipitées à Damas pour courtiser le nouveau chef de la Syrie, se retrouvent aujourd’hui bien embarrassées par la situation, à commencer par notre très cher Quai d’Orsay et son flair infaillible.
La question est désormais de savoir si Ahmed al-Sharaa a ordonné ces massacres ou s’il ne contrôle tout simplement pas ses hommes. Est-il coupable ou impuissant ? Sa réaction, ainsi que la mise en place de comités indépendants chargés de punir les auteurs des exactions, semblent plaider en faveur de la seconde hypothèse.
Mais dans ce chaos, une chose est certaine : c’est une très mauvaise nouvelle pour la Syrie.
La priorité du nouveau pouvoir est de rétablir un État capable d’assurer la sécurité de ses citoyens, de faire lever les sanctions internationales pour attirer les investissements étrangers et relancer l’économie, afin de remettre la Syrie sur pied.
Pour ce faire, al-Sharaa s’efforce de se présenter au monde comme un homme d’État pragmatique, raisonné et raisonnable, et non comme l’ancien chef d’Al-Qaida ayant réussi à conquérir le pouvoir.
Mais s’il veut réellement atteindre ses objectifs, il n’aura d’autre choix que de purger ses forces armées, composées en partie d’organisations djihadistes, principales responsables des massacres et qui refusent toute négociation avec les minorités pour imposer un califat par la force. Mais avec seulement 35 000 hommes pour tenir la Syrie, peut-il vraiment le faire sans que la situation ne dégénère ?
Les scènes de nettoyage ethnique, comme celles des derniers jours, ne font qu’exacerber les divisions et nourrir les craintes au sein d’une mosaïque syrienne où les populations non sunnites redoutent légitimement pour leur survie. Les Kurdes, déjà menacés par la Turquie au nord et qui viennent tout juste de signer un accord avec Damas pour intégrer le nouveau pouvoir, ont de quoi s’inquiéter. Il en va de même pour les Druzes, qui demandent la protection d’Israël.
L’homme fort de Syrie est en réalité bien plus fragile qu’il n’y paraît : sa marge de manœuvre est des plus étroites, et sa survie politique ne tient qu’à un fil.
Selon vous Arié, que devrait faire Israël vis-à-vis de la Syrie ?
Contrairement aux Européens, Israël ne se fait aucune illusion sur le nouveau pouvoir syrien.
Les massacres n’ont fait que légitimer les frappes préventives menées par Tsahal après la chute du régime de Bachar el-Assad, afin d’empêcher que ses armes ne menacent inévitablement Israël une fois la situation intérieure stabilisée.
Pendant treize ans, la Syrie d’Assad était faible et ne constituait pas une menace directe, malgré la présence iranienne. Aujourd’hui, au vu des hommes qui composent le nouveau régime et son armée, Israël a tout intérêt à maintenir, par la force, cette Syrie à un niveau de menace minimal, plutôt que d’espérer que les djihadistes sanguinaires d’hier deviennent les démocrates pacifistes de demain.
Israël, seule démocratie du Moyen-Orient, où les minorités ethniques et religieuses s’épanouissent librement, est désormais sollicité par celles de Syrie pour les protéger. Mais l’État juif ne peut pas tout gérer seul.
Il revient désormais à l’ensemble du monde démocratique, qui dispose des leviers nécessaires pour peser sur la situation, d’intervenir afin d’empêcher la Syrie de devenir un nouvel Afghanistan au Levant – un bastion islamiste et une menace pour la paix.
Arié Bensemhoun
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