Décidément, les temps changent dans le Golfe persique. Alors qu'Israël et les Emirats Arabes Unis négocient activement à concrétiser leur traité de paix, voici que l'Arabie Saoudite se lâche sur les Palestiniens. Dans une série d'entretiens dont le premier a été diffusé lundi soir sur la chaine Al Arabyia, l'ancien patron des services de renseignements saoudien prend la défense de ses voisins des Emirats et de Bahreïn. Un discours qui n'a rien d'improvisé, mais qui est bien une opération de communication très calibrée par le royaume sunnite.
Bandar bin Sultan n'a pas mâché ses mots pour dire sa frustration et même sa colère devant la réaction des Palestiniens aux accords d'Abraham. Le prince saoudien, qui a été durant plus de vingt ans aux commandes de la politique extérieure de Riyad, ne pardonne pas aux dirigeants palestiniens, du Fatah comme du Hamas, d'avoir parlé de trahison, à propos de la normalisation avec Israël. Les pays du Golfe, en particulier l'Arabie Saoudite, mais également les Emirats Arabes Unis ont été depuis un quart de siècle les principaux bailleurs de fonds de l'Autorité Palestinienne. Et bin Sultan déplore qu'ils n'aient même pas la reconnaissance du ventre. L'ancien chef des renseignements constate encore que les Palestiniens ont trop longtemps considéré comme allant de soi le soutien des monarchies du Golfe.
Les Palestiniens ont toujours misé sur le mauvais camp, a encore déploré Bandar bin Sultan, qui se souvient qu'Arafat avait préféré écouter Assad plutôt que de faire la paix avec Israël. Il est même remonté jusqu'au Mufti de Jérusalem, qui avait fait alliance avec Hitler, pour boucler la boucle en constatant qu'aujourd'hui le Hamas préfère soutenir l'Iran ou la Turquie. "La cause des Palestiniens est juste, mais elle a de mauvais défenseurs" a estimé le proche du roi.
Mais la prise de parole de ce dignitaire du régime saoudien en dit long sur les relations complexes que les Etats arabes entretiennent avec les Palestiniens. Dans le cadre de la Ligue Arabe, ou dans leur stratégie régionale depuis la fin des années 40, la doctrine qui consistait à faire d'Israël l'ennemi absolu et les Palestiniens de cause commune à défendre, a longtemps contribué à masquer les conflits et les rivalités. Mais cette cause palestinienne, qui servait aussi à tenir leurs populations, n'a jamais fait de ces pays des amis des Palestiniens, qu'ils n'ont pas cherché à sortir de leur condition.
Cette ambivalence a aussi évolué avec les changements qui ont traversé ces sociétés. Les menaces qu'ont fait peser sur leurs régimes les mouvements jihadistes et aussi l'Iran, ont montré les limites de l'instrumentalisation du conflit israélo-palestinien comme élément fédérateur.
Cela dit, il ne faut pas s'y tromper. Il ne s'agit pas pour les Saoudiens de normaliser demain matin leurs rapports avec Israël, on n'en est pas encore là. Mais bien de soutenir ceux qui ont sauté le pas. On se doutait bien d'ailleurs que ni Bahreïn, ni les Emirats n'auraient pris l'initiative de se rapprocher d'Israël, sans l'aval de Riyad. Pourtant, insensiblement, le paysage stratégique est en train de changer au Moyen Orient.
Pascale Zonszain
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