En Israël aussi bien sûr l'effroyable assassinat de Samuel Paty a suscité horreur et indignation. Les médias ont couvert le drame et évoqué la montée de l'islamisme en France. Et les condamnations de la décapitation du professeur du collège de Conflans-Sainte-Honorine par un terroriste tchétchène ont été unanimes.
Unanimes, pas tout à fait. La chaine publique israélienne Kan a mené l'enquête et découvert que le Mouvement Islamique, une organisation arabe israélienne, a tenu un double langage, au sens premier du terme. Dans ses déclarations en hébreu, prononcées notamment par un de ses représentants à la Knesset, le député du parti Raam Mansour Abbas, le Mouvement Islamique a condamné un "crime abominable". Mais dans un communiqué en arabe, publié par le Mouvement Islamique sur sa page Facebook, la condamnation ne visait pas le terroriste, mais le président français. L'organisation déclare : "nous condamnons l'injure manifeste commise envers le prophète Mahomet et tenons le président Macron pour responsable du discours de haine dans son pays" et parle encore de "la responsabilité du chef de l'Etat dans la diffusion du racisme et de l'incitation à la haine, qui a embrasé la sensibilité des musulmans en France et dans le monde, [et sa responsabilité] dans le meurtre et la vengeance qui s'en sont suivis".
Israël, on le sait, n'est pas un pays laïc et ne connait pas la séparation de la religion et de l'Etat, contrairement à la France. L'appartenance religieuse et ethnique détermine le statut personnel de ses citoyens, qu'ils soient ou non pratiquants. L'islam, comme les autres religions s'y exprime et s'y pratique donc librement. Quant au débat entre laïcs et religieux, il ne se situe jamais sur le terrain du blasphème, seulement sur la place que chaque camp reproche à l'autre de prendre sur lui. Ce qui n'empêche pas la dimension politique et idéologique, et c'est là qu'on revient au Mouvement Islamique.
Créé en 1971, ce mouvement a entrepris d'islamiser les Arabes israéliens par des actions sociales et caritatives, qui ont évolué en activisme politique à la fin des années 80 sur une idéologie proche des Frères Musulmans. Les accords d'Oslo israélo-palestiniens ont provoqué une scission entre la faction sud du mouvement, qui soutenait le processus de paix, et la faction nord du Sheikh Raed Salah, alignée sur le Hamas, le mouvement islamiste palestinien, qui contrôle la Bande de Gaza. Cette faction est devenue illégale depuis 2015, mais reste toujours active et accuse régulièrement Israël de" judaïser" les mosquées du Mt du Temple.
Idéologiquement, la faction sud du Mouvement islamique, celle qui a donc accusé Emmanuel Macron d'être responsable de l'attentat de Conflans, est également proche du Hamas, mais veille à rester dans la légalité. Rien d'étonnant donc, à ce que sa prise de position en arabe, destinée spécifiquement au public arabe israélien et plus généralement au monde musulman, ait été aussi virulente contre la France. En Israël aussi, les islamistes savent manier le double langage.
Pascale Zonszain
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