Des trois normalisations de ces derniers mois entre Israël et des pays musulmans, celle avec le Soudan est probablement la moins évidente. D'abord parce qu'il faut rappeler le passif entre les deux pays. Des soldats soudanais ont combattu dans plusieurs guerres contre Israël. D'abord pendant la guerre d'Indépendance de 1948, quand le Soudan était encore sous domination égyptienne, puis pendant la guerre des Six Jours de 1967, toujours aux côtés de l'Egypte.
Et puis, c'est dans la capitale soudanaise que s'était tenue la fameuse réunion en août 67, de huit pays arabes qui avait abouti aux "trois 'non' de Khartoum" : non à la reconnaissance d'Israël, non aux négociations avec Israël, non à la paix avec Israël.
Dans les décennies suivantes, les choses ont été moins claires, puisque c'est avec le Soudan qu'Israël avait négocié secrètement au milieu des années 80, pour permettre le passage des Juifs d'Ethiopie sur son territoire.
Reste que le Soudan, pays musulman sunnite, s'est aussi rapproché de l'Iran avec l'arrivée au pouvoir d'Omar el Béchir à la fin des années 80. Les liens entre les deux pays ont été d'ordre économique, mais aussi militaire et stratégique, au point qu'en 1993, les Etats-Unis placent le Soudan sur leur liste noire des pays qui soutiennent le terrorisme. Le Soudan devient aussi une escale et une zone de passage pour les armes que l'Iran livre aux organisations terroristes palestiniennes. Et l'armée israélienne effectuera plusieurs raids en 2009, 2012 et 2014 contre des convois, des dépôts et des bâtiments iraniens qui acheminaient des armes via le Soudan, vers les organisations terroristes palestiniennes de la Bande de Gaza.
Depuis 2015, le dictateur soudanais avait commencé à prendre ses distances avec la République islamique, allant jusqu'à rompre les relations diplomatiques un an plus tard. Béchir s'est en effet rapproché de l'Arabie Saoudite, qu'il a choisi de soutenir, contre l'Iran, dans la guerre du Yémen. Et depuis 2019, son successeur maintient le lien avec Riyad. Le nouveau régime de Khartoum veut revenir dans le giron sunnite, comme moyen de sortir le pays de sa situation économique catastrophique.
Ce n'est donc pas un hasard si l'Iran a été le plus virulent dans sa dénonciation de la normalisation des relations entre le Soudan et Israël. Pour Téhéran, c'est une nouvelle perte majeure face à l'alliance qui prend forme entre les pays sunnites, les Etats-Unis et Israël. Et pour Jérusalem, c'est autant une victoire diplomatique que stratégique. Même si le Soudan, contrairement aux Emirats Arabes Unis et au Bahreïn, est encore dans une situation politique instable et que l'opposition à un rapprochement avec Israël reste forte. Mais pour Khartoum, c'est le prix à payer pour sortir de l'isolement diplomatique et économique. Et il espère bien continuer à en retirer les dividendes, puisque Washington l'a déjà retiré de la liste des Etats terroristes.
Pascale Zonszain
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