La conscience israélienne de la Shoah a commencé avec le procès Eichmann

Israël.

La conscience israélienne de la Shoah a commencé avec le procès Eichmann
(Crédit: DR)

C'était il y a 60 ans. Le 11 avril 1961 s'ouvrait à Jérusalem le procès d'Adolf Eichmann, capturé quelques mois plus tôt en Argentine, par le Mossad. Pour le Premier ministre David Ben Gourion, ce procès allait être le "Nuremberg du peuple juif", qui n'avait pas eu le droit jusque-là de traduire ses assassins en justice. Les débats se déroulent à Jérusalem, devant le Tribunal de District, transporté pour l'occasion dans les locaux de la Maison du Peuple. Les audiences sont filmées et enregistrées pour être retransmises à la radio, car il n'y avait pas encore de télévision dans le pays, permettant ainsi aux Israéliens de les suivre en intégralité.

Eichmann, Obersturmführer de la Waffen SS, avait été le principal ordonnateur de la Solution Finale. Il comparait, enfermé dans sa cage de verre blindé, devant les juges israéliens pour répondre de crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Et c'est alors que les Israéliens vont découvrir l'horreur et l'ampleur de l'entreprise nazie d'extermination du peuple juif. Certains des épisodes de ce procès se sont d'ailleurs profondément imprimés dans les mémoires. D'abord le réquisitoire du Procureur Général, Gideon Hausner : "Dans ce lieu, je me tiens devant vous, Juges d'Israël pour instruire le réquisitoire d'Adolf Eichmann. Mais je ne suis pas seul. A mes côtés se tiennent ici, aujourd'hui, six millions de procureurs. Mais ils ne peuvent pas se lever, ni pointer un doigt accusateur vers la cage de verre, ni crier 'j'accuse' à celui qui s'y trouve. Parce que leurs cendres sont entassées entre les collines d'Auschwitz et les champs de Treblinka, parce qu'elles sont charriées par les rivières de Pologne, et que leurs tombes sont dispersées sur toute l'Europe. Leur sang hurle, mais leur voix ne se fera pas entendre. Alors c'est par ma bouche et en leur nom que je prononcerai l'accusation terrible".

Ces mots du Procureur Hausner sont entrés dans la mémoire des Israéliens, comme ceux de l'écrivain Ka-Tzetnik, Yehiel Di-Nur, rescapé des camps, qui a témoigné sur ce qu'il avait vécu à Auschwitz. "C'était une autre planète. (…) Là-bas, le temps était autre de ce qu'il est ici sur terre. (…) Les habitants de cette planète n'avaient pas de nom. Ils ne vivaient ni ne mouraient selon les lois de ce monde. Ils m'ont laissé en arrière. (…) Je les vois". Di-Nur ne parvient pas au bout de sa déposition. Il s'évanouit à la barre des témoins. Il n'a pas été le seul à déposer. Mais ses mots, sa voix qui s'enfonce dans sa mémoire jusqu'à la rendre insupportable et lui faire perdre conscience, ont provoqué en Israël un choc émotionnel d'une violence inouïe. Pour la première fois, 16 ans après la fin de la guerre et 12 ans après l'indépendance, tout ce que les Israéliens avaient voulu refouler, tout ce qu'ils n'avaient pas voulu entendre, leur explosait au visage. La Shoah était aussi dans leur chair, dans leur histoire nationale et dans leur histoire individuelle.

Le lien physique avec la diaspora était rétabli et ne pourrait plus jamais se rompre. C'est avec le procès Eichmann que la Shoah a pris sa place dans la conscience des Israéliens, qui, comme le reste du peuple juif, continue à se reconstruire.

Pascale Zonszain

pzoom080421

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