Dans un texte intitulé "Pour un retour à l'honneur de nos gouvernants", vingt généraux de l'armée française à la retraite, une centaine de hauts gradés et plus d'un millier d'autres militaires interpellent Emmanuel Macron, le gouvernement et les parlementaires pour mettre fin au "délitement" de la France. Ils lancent un appel "pour un retour de l'honneur et du devoir au sein de la classe politique" face aux "dangers mortels" et au "chaos croissant" qui menacent la France.
La tribune parle à plusieurs reprises de délitement de la France avec l'antiracisme qui "s’affiche dans un seul but : créer sur notre sol un mal-être, voire une haine entre les communautés. Aujourd’hui, certains parlent de racialisme, d’indigénisme et de théories décoloniales, mais à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques." "Délitement qui, avec l’islamisme et les hordes de banlieue, entraîne le détachement de multiples parcelles de la nation pour les transformer en territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution". Enfin : "Délitement, car la haine prend le pas sur la fraternité lors de manifestations".
La tribune s'en prend aussi aux gouvernants, à leurs "louvoiements" et à leur "silence coupable". On peut y lire : "Le pouvoir utilise les forces de l’ordre comme agents supplétifs et boucs émissaires face à des Français en gilets jaunes exprimant leurs désespoirs. Ceci alors que des individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre". Les signataires demandent que les dirigeants appliquent les lois votées : "demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers".
Une date symbolique
La tribune a été publiée mercredi 21 avril 2021. La date de publication n'a pas été choisie au hasard. Il y a exactement 60 ans jour pour jour, en pleine guerre d'Algérie, une partie des militaires de carrière de l'armée française ont tenté un coup d’Etat, également appelé putsch d’Alger. Ce jour là, quatre généraux cinq étoiles (Maurice Challe, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et André Zeller) tentent un coup d'état en réaction à la politique choisie par le Président de la République, Charles de Gaulle, qu'ils considéraient comme une politique d'abandon de l'Algérie française. Le putsch des généraux sera un échec. 220 officiers sont relevés de leur commandement, 114 traduits en justice et le groupement des commandos de l'air ainsi que les trois régiments ayant pris part au putsch, sont dissous. L'une des conséquences de ce putsch est la création de l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète.
L’auteur de cette tribune est Jean-Pierre Fabre-Bernadac. Ancien officier de l'Armée de Terre et de la Gendarmerie, il a été lié par le passé au Front National de Jean-Marie Le Pen. Sanctionné pour avoir informé un membre du FN d'une affaire judiciaire, Il a été de 1993 à 1994 le patron du département protection sécurité, le service d’ordre du Front national.
Les signataires plutôt d’extrême droite
Une vingtaine d’anciens généraux de l'armée française à la retraite ont signé cette tribune. Ils sont déjà connus, rappelle dans 20 minutes le spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, "pour des positions et des discours similaires à celui-ci. On n’a pas vu des nouvelles têtes d’affiche ou médiatiques signer cette tribune". La plupart des signataires sont d’anciens haut gradés regroupés dans la "deuxième section". Contrairement à la "première section", qui comprend les officiers généraux en activité, la "deuxième section" regroupe des gradés n’étant plus en activité mais qui restent à la disposition du ministère des Armées. La plupart des signataires sont proches des milieux conspirationnistes et de l'extrême droite.
Selon les recherches de franceinfo, au moins trois généraux signataires ont déjà "participé à des élections locales sous l'étiquette Rassemblement national ou apparentés.” C'est le cas du général de division François Gaubert, conseiller régional d'Occitanie, élu en 2015 sur la liste de Louis Aliot, l'ex-compagnon de Marine Le Pen, devenu l'an dernier maire de Perpignan. Emmanuel de Richoufftz, qui vient de l'infanterie, est déjà apparu sur une liste de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Plusieurs signataires sont également membres du mouvement de Renaud Camus, écrivain fondateur du “ grand remplacement”. Tête de liste aux Européennes il y a deux ans, il avait retiré sa liste après la diffusion d'une photo et d'une vidéo montrant une colistière dessinant une croix gammée.
L'un des anciens généraux signataires du texte, Christian Piquemal, ancien patron de la légion étrangère, a été radié des cadres de l'armée en 2016. Il avait participé à une manifestation interdite contre les migrants à Calais, aux côtés des membres de la branche française du parti d'extrême-droite allemand islamophobe Pegida, créée en 2014. Pour rappel, Lutz Bachmann, le fondateur de Pegida, a été contraint de démissionner de ses fonctions début 2015 suite à la révélation par le quotidien allemand Bild, d'une photo de lui quelques mois plus tôt, grimé en Hitler.
Une gradation des sanctions peut s’appliquer, allant de la perte de tous les avantages au retrait du grade militaire. Néanmoins, la plupart des signataires de la tribune sont issus de la "deuxième section" qui regroupe des gradés n’étant plus en activité mais qui restent à la disposition du ministère des Armées. Or, les sanctions sont surtout appliquées aux militaires actifs.
Les réactions
Depuis la publication de la tribune, les réactions politiques sont nombreuses. Vendredi, dans une lettre publiée sur le site de Valeurs Actuelles, Marine Le Pen apporte son soutien aux militaires signataires et les invite à la soutenir pour la prochaine élection présidentielle.
Sur le site Place d'Armes, cette main tendue a d'ailleurs reçu un accueil glacial. On peut lire: "Il est pour le moins maladroit d'effectuer une opération de 'racolage' pour des objectifs électoraux. Marine Le Pen aurait pu simplement se dire en phase avec nos préoccupations". On peut également lire sur le site: "le plus grave peut-être dans sa lettre est la méconnaissance totale du monde militaire. En effet, sur le millier de signataires, elle a privilégié les seuls vingt généraux. En mettant exclusivement en avant 18 gradés de haut rang, elle a négligé les 980 autres militaires qui se sont engagés en paraphant notre missive".
A gauche de l’échiquier politique, la consternation est présente. Ses principaux leaders ont demandé à la ministre des Armées de réagir. Florence Parly s'est exprimée dimanche sur cette tribune, sur Twitter. Elle "fustige des militaires à la retraite, qui n’ont plus aucune fonction dans nos armées et ne représentent qu’eux-mêmes" en rappelant que "deux principes immuables guident l’action des militaires vis-à-vis du politique : neutralité et loyauté".
Lundi, Florence Parly a annoncé que le recensement des militaires signataires était en cours. Par ailleurs, des sanctions vont être prises pour les militaires qui ont enfreint le devoir de réserve et qui sont actifs dans l'armée.
Autre réaction gouvernementale, celle de la ministre déléguée chargée de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher. Elle a condamné lundi "cette tribune d’un quarteron de généraux en charentaises qui appellent au soulèvement", référence à la formule du général de Gaulle lors du putsch d'Alger en 1961: "Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite ; il a une réalité : un groupe d'officiers partisans, ambitieux et fanatiques".
Un enjeu électoral ?
Cette lettre ouverte est donc très politique à un an de l'élection présidentielle. Des sondages récents montrent que des Français sont prêts à voter pour un militaire, en l'occurrence le général Pierre de Villiers, l'ancien chef d'état major des armées. Un sondage IFOP en novembre 2020 montrait que 20% des français étaient prêts à voter pour celui qui a été poussé à la démission par Emmanuel Macron en juillet 2017. Son dernier ouvrage, L'Équilibre est un courage, a été l'une des meilleures ventes à l'automne dernier.
Christophe Dard
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