Hommage à Alber Elbaz : la chronique d'Ariel Wizman

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Hommage à Alber Elbaz : la chronique d'Ariel Wizman
(Crédit: DR)

C'était ce jeudi matin à 7H10 dans le Morning d'Ilana Ferhadian sur Radio J. L'entrepreneur, journaliste et DJ Ariel Wizman rendait hommage à son ami Alber Elbaz, l'ancien directeur artistique de Lanvin, pour qui il avait composé plusieurs musiques de défilés. Albert Elbaz nous a quitté le 24 avril 2021.

Vous ne connaissez peut-être son nom que par les rubriques mode et mondanités des revues sur papier glacé. Vous avez peut-être repéré les avalanches d’hommages qui lui ont été rendus sur Instagram par les stars, les influenceurs, et autres grands de ce monde. Vous aurez vu passer ses robes, exercices de haute culture, par lesquelles il exprimait son amour des femmes, quel que soit leur physique, son sens de la couleur, sa célébration de la joie. Et ses émojis coeurs, qui accompagnaient partout sa silhouette d’enfant gourmand, à la recherche d’un hug, la tendresse de son visage ouvert et désarmé, car Alber Elbaz était peut-être l’un des derniers authentiques créateurs de mode. Cette profession, qui ne fait plus parler aujourd’hui que par l’arrogance de ses petits maîtres, le désastre de la pollution qu’elle crée mondialement, et l’esclavage devenu indispensable à la fabrication de collections toujours plus nombreuses, générant des marges chaque jour plus affolantes.

Mais peut-être avez vous manqué l’homme -je devrais dire le Mensch- qui fût mon ami, et que vient de nous arracher le Covid. Un homme d’attention, d’humilité, de soin des autres, peu sensible aux honneurs, mais qui avait appris la bonté dans la Torah de Moché, le service de l’autre dans le volontariat, très jeune, pour le Maguen David Adom, et l’exigence dans l’armée israélienne, dont il ne s’est épargné aucune tâche du service national de trois ans.

Lorsqu’elles commencent leur deuxième grand voyage, celui qui succède à leur vie sur terre, certaines personnes manquent à leurs proches, d’autres manquent au monde, parce qu’elles incarnaient quelque chose d’unique. Nos Sages nous ont appris qu’on ne prend le deuil que de ceux qui ne peuvent être remplacés. C’est ce genre d’homme que fut Alber Elbaz, chez Saint Laurent, Lanvin, ou tout récemment chez AZ, la marque qu’il venait de lancer, pour transformer la mode, et à sa manière, réparer.

Ce qui manquera de lui a pour nom Fantaisie, ou encore Spontanéité, cette tendance à rebours des deux grands totems de nos temps de plus en plus païens: d’abord l’ego, soucieux de se maitriser et de lisser son apparence, de plaire à son époque, au risque d’écraser sa singularité, puis ses véhicules, les algorithmes, ces calculateurs implacables, ces Zeus ou Baal d’aujourd’hui, fétiches redoutables, qui frappent sans rien savoir de l’homme. Alber se fichait des deux et prouvait par son succès qu’on pouvait faire sans.

La croyance en un dieu unique, qui aime ses créatures, dont chaque âme est singulière, fut peut-être la plus grande avancée de l’humanité. Avant cela, les dieux étaient entre eux et libres aux hommes de faire d’autrui leur esclave, de le transformer en chose. Elle a fait de notre peuple le missionnaire d’une toute autre vision de l’humain, avec un Moi libre, qui a pour mission de se réaliser. Dans Spontanéité, la racine latine "de sponte" signifie de "notre propre gré". Cette "liberté positive",  elle est rare dans nos sociétés qui se jurent pourtant individualistes.

On la trouve souvent, racontait le psychanalyste et sociologue juif Erich Fromm (dans son ouvrage fondamental "La peur de la liberté"), chez les enfants. Et c’est pour ça que nous les aimons inconditionnellement. Je le cite: "La plupart d’entre nous pouvons observer au moins quelques moments de notre propre spontanéité, qui sont en même temps des moments de bonheur véritable. C’est parfois la vue nouvelle et inattendue d’un paysage, le début de quelques vérités comme résultats de notre pensée, un plaisir sensuel non-stéréotypé ou encore une vague d’amour pour une autre personne- dans ces moments nous savons tous ce qu’est un acte spontané. Quand on peut vivre spontanément et non de manière compulsive ou comme un automate, le doute disparait. Nous devenons conscients, en tant qu’individu actif et créatif qu’il n’y a qu’un sens à la vie: l’acte de vivre lui-même."

Alber Elbaz, Ha Hamoud, Zikhono li Brakha, tout à la fois enfant et Maître, appartenait pleinement à notre culture, celle de la vie et de l’attention à l’autre, mais il était unique, et nous verrons longtemps sa trace et ressentirons son absence.

Ariel Wizman

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