Depuis plusieurs semaines, Israël est secoué par une tempête publique qui le renvoie plus d'un quart de siècle en arrière. C'était à l'époque des Accords d'Oslo et du processus de paix avec les Palestiniens. La perspective de céder des territoires en échange de la paix suscitait des espoirs pour certains et pour d'autres des craintes. Et surtout, cela représentait un véritable saut dans l'inconnu. Tous les repères qui avaient balisé jusque-là le débat public et qui semblaient faire consensus, étaient remis en question. Comment les terroristes d'hier avaient-ils pu devenir du jour au lendemain des interlocuteurs légitimes ? Avait-on le droit de renoncer à des territoires ? De quel côté était la vérité ? Autant de questions fondamentales qui ont pourtant rapidement transformé le débat en clivage. Il fallait choisir son camp. Peu à peu, la discussion était devenue impossible et on en était venu à ne plus se parler, de peur de se fâcher. Car l'alternative était toujours l'invective. Ennemis de la paix contre traitres au pays, collabos contre fascistes. Le discours public s'est radicalisé jusqu'au basculement fatidique de l'assassinat du Premier ministre Itzhak Rabin par un étudiant religieux, fanatisé par un courant d'extrême-droite qui prétendait trouver sa légitimité dans une certaine vision du judaïsme. Le drame avait ensuite plongé le pays dans de longs mois de prostration et laissé des cicatrices durables.
Mais ça, c'était en 1995. Aujourd'hui, le débat public est sollicité différemment. Les grands rassemblements ont fait place à de petites manifestations, d'abord pour ou contre la démission de Benyamin Netanyahou, après son inculpation pour corruption. Et désormais pour ou contre le gouvernement de rotation de Naftali Bennett et Yaïr Lapid. Des meetings qui n'ont plus lieu sur la place publique, mais sous les fenêtres des élus, pour forcer leur intimité à la manière des réseaux sociaux, devenus le principal vecteur de l'opinion et le déversoir ciblé de la haine politique.
Et sur le modèle d'un accumulateur, le processus a besoin de se remplir avant de devenir actif. En Israël, il aura fallu deux ans de paralysie politique émaillée par quatre élections successives, la crise sanitaire sans précédent du Covid, puis les émeutes ultra-violentes de début mai dans les villes mixtes judéo-arabes et enfin les onze jours de confrontation avec le Hamas et ses milliers de roquettes tirées sur Israël. Tout cela a contribué à un climat d'angoisse, d'exaspération, jusqu'au sentiment que l'édifice du pays se disloque et que l'alternative ne peut être que le chaos. C'est sur cette dérive dangereuse que Nadav Argaman, le patron du Shin Beth, les services de sécurité intérieure, a voulu alerter il y a quelques jours, en appelant tout le pays, de ses leaders à ses citoyens, à freiner des quatre fers avant le point de non-retour, celui où la violence physique remplace l'expression politique.
Ce qui veut dire aussi composer avec le réel, même quand il peut être frustrant. Les Israéliens ont-t-il besoin d'une crise politique de plus pour se prouver qu'ils sont une démocratie, ou de se résoudre à une coalition disparate comme pis-aller pour retrouver un peu de stabilité ? Et surtout, ne pas oublier que le pire ennemi d'Israël a toujours été la division. Juste devant le Hamas et l'Iran.
Pascale Zonszain
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