Nizar Banat était jusqu'ici un inconnu en dehors de l'Autorité Palestinienne. Mais sa mort, le 24 juin dernier, est en train d'en faire un symbole politique. Ce critique virulent du régime de Mahmoud Abbas s'exprimait régulièrement sur les réseaux sociaux, jusqu'à ce que des hommes des services de sécurité de l'Autonomie pénètrent en pleine nuit à son domicile pour l'arrêter et le battre à mort. Mais en voulant le faire taire, la police du dirigeant palestinien a obtenu le résultat contraire, celui de déclencher un mouvement de contestation comme les territoires autonomes de Cisjordanie n'en avaient pas connu depuis longtemps. Ce n'est pas la première fois, depuis la mise en place de l'Autonomie dans les années 90, que les Palestiniens expriment leur mécontentement contre leurs dirigeants politiques. A l'époque de Yasser Arafat, la population, surtout dans les villes palestiniennes de Judée Samarie, les appelaient les "gangsters de Tunis", pour les distinguer de la direction locale qu'ils considéraient comme plus légitime. La protestation contre la corruption du régime est une constante, même si elle ne s'exprime pas dans la rue, par crainte des représailles, mais aussi par un fort sentiment nationaliste anti-israélien.
Mais ce qui est nouveau cette fois, c'est la personnalité de Nizar Banat. Il ne s'agit pas d'un activiste islamiste du Hamas, mais d'un homme sans affiliation politique, même si ses opinions sont proches du Fatah, et qui s'est fait connaitre en exprimant tout haut le ras-le-bol que les autres pensent tout bas. Dans ses vidéos postées presque tous les jours, et qui affichent des dizaines de milliers de vues, il dénonçait le régime de Mahmoud Abbas et sa corruption, mais aussi sa coopération sécuritaire avec Israël, présentée comme une trahison et une complicité avec l'occupant.
L'enterrement de Banat se transforme en cortège de protestation dans les rues de Hébron, et le mouvement gagne rapidement Ramallah et d'autres localités palestiniennes de Judée Samarie. Et parmi les participants, on ne voit plus seulement des jeunes ou des militants du Hamas, mais une foule composée de gens de tous âges et de tous milieux, et même de femmes. Les slogans visent le régime de l'Autorité Palestinienne, mais aussi Israël.
Si la défiance du régime de Mahmoud Abbas on l'a compris, n'est pas nouvelle, la récente décision du chef de l'Autonomie d'annuler les élections législatives et présidentielle qui auraient dû commencer fin mai, a été très mal perçue, d'autant que les Palestiniens attendaient ces scrutins depuis plus de quinze ans. Mais la division interne du Fatah et la montée en puissance du Hamas en Cisjordanie faisaient craindre à Abbas de perdre le pouvoir. Ajouté à cela la crise sanitaire du Covid qui a considérablement détérioré la situation économique, et on comprend mieux que la pression ait pu faire sauter le couvercle.
Tout va dépendre maintenant de la durée du mouvement. S'il retombe rapidement ou si le régime de l'Autonomie parvient à le réprimer, ce ne sera qu'une crise de plus. Mais si l'Autorité Palestinienne devient la première cible, devant l'hostilité à Israël, la contestation pourrait se transformer en printemps palestinien. Mais la politique a horreur du vide et le Hamas attend son heure. Et si le régime d'Abbas devait tomber, il n'est pas sûr que lui succèderait une démocratie palestinienne. En tout cas, ce qui se passe à Ramallah doit être suivi de près, y compris par Israël.
Pascale Zonszain
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