Ce qui avait commencé comme un banal excès de zèle policier est en train de devenir une affaire diplomatique ultrasensible. Nathalie et Mordi Oknin, un couple israélien en visite à Istanbul, ont été arrêtés la semaine dernière, pour avoir photographié un des palais présidentiels turcs qui surplombe le Bosphore. C'est la famille du couple, inquiète de ne pas les voir rentrer en Israël, qui a alerté les autorités israéliennes, qui n'avaient pas été informées de l'arrestation. En Turquie, il est interdit de prendre en photos certains bâtiments officiels, mais les deux touristes israéliens n'en avaient apparemment pas tenu compte. Déférés vendredi devant un juge, les époux Oknin ont vu leur détention prolongée de vingt jours, sans qu'ils aient pu communiquer avec leur avocat israélien, ni avec le consul d'Israël. Alors que l'incident aurait dû se terminer par une expulsion, le couple reste donc emprisonné, pour soupçon d'espionnage et d'atteinte à la sureté de l'Etat.
Pourquoi le pouvoir turc a-t-il décidé de monter l'affaire en épingle ? C'est évidemment la question que l'on se pose à Jérusalem. Le mois dernier, les autorités turques avaient affirmé avoir démantelé un réseau d'espionnage, prétendument lié au Mossad. Aucun des quinze suspects arrêtés n'étant de nationalité israélienne, Jérusalem n'avait fait aucun commentaire public sur l'affaire. Alors, les deux affaires sont-elles liées ? En tout cas dans l'esprit des autorités d'Ankara, qui auraient pu chercher à mettre la main sur des ressortissants israéliens sous un prétexte quelconque, pour avoir un moyen de pression ou une monnaie d'échange face à Israël.
Cela fait déjà plus de dix ans que les relations entre Israël et la Turquie se sont considérablement dégradées. Recep Tayyip Erdogan, au fur et à mesure de son islamisation de la Turquie laïque, a aussi progressivement dévié de l'alliance stratégique avec Jérusalem, préférant se rapprocher des Palestiniens, et en particulier du Hamas. Après un incident public contre Shimon Peres en 2009, le président turc avait orchestré la fameuse flottille pour Gaza, fin mai 2010, qui s'était soldée par la mort de dix activistes turcs lors de l'assaut donné par Tsahal au ferry Mavi Marmara. Depuis lors, la Turquie était devenue ouvertement hostile à Israël, rétrogradant au minimum les relations bilatérales. Ce qui n'avait pourtant interrompu ni les relations commerciales, ni le tourisme israélien en Turquie, même si le pays était plus visité par les Arabes israéliens que par les Juifs.
Cela dit, depuis quelques mois, Tayyip Erdogan semblait chercher à se rapprocher de Jérusalem. Le président turc avait même saisi le prétexte de l'élection de Haïm Herzog en juillet dernier pour appeler son nouvel homologue israélien. Et leur entretien téléphonique avait duré plus de quarante minutes. Mais le président Erdogan reste ambigu. Est-ce qu'il instrumentalise Israël à des fins de politique intérieure ou de politique étrangère ? A-t-il besoin d'Israël pour se rapprocher des Etats-Unis ou au contraire veut-il affaiblir la nouvelle alliance stratégique régionale entre Israël, la Grèce et Chypre ? Cherche-t-il une diversion alors que l'économie turque traverse une grave crise ? Avec Erdogan, tout est possible. Ce qui explique que le gouvernement israélien avance avec la plus grande prudence. Il faut ramener les époux Oknin en Israël le plus vite possible, en espérant que le prix de leur liberté ne sera pas exorbitant.
Pascale Zonszain
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