Entre les surenchères des débats de la droite et les outrances de Marine Le Pen et Éric Zemmour, le spectre de l’immigration hante la campagne présidentielle. Comme si les Français devaient choisir non un président de la République, mais un super garde-frontière capable de repousser sans états d’âme les masses de pauvres gens qui fuient la misère, la guerre et le terrorisme.
Bien sûr, ni la France, ni l’Europe ne peuvent accueillir toute la misère du monde, et le paradoxe des flux migratoires est de mêler des populations déracinées par la terreur islamiste et des désespérés prêts à basculer dans le terrorisme. Bien sûr, il y a des salauds, qui vivent de chair humaine, des trafiquants qui font payer cher la traversée des déserts et des mers, dans des conditions effroyables, en sachant que tous n’arriveront pas au bout du voyage. Bien sûr, il y a des maîtres chanteurs, au pouvoir en Turquie, en Russie, en Biélorussie, et ailleurs, qui utilisent les masses misérables en tenant pour une faiblesse cet humanisme qui fonde l’Europe et dont ils sont totalement dépourvus.
Nous ne pouvons ignorer ces réalités, mais nous ne pouvons accepter que des hommes, des femmes, des enfants, meurent de froid derrière les barbelés de la frontière polonaise, nous ne pouvons rester insensibles aux bidonvilles, aux camps de toiles installés aux portes de Paris et sur les talus qui bordent les autoroutes. Pas plus que nous ne pouvons refuser de porter secours aux naufragés de la Méditerranée et de la Manche…
Certains candidats nous appellent à abandonner nos réflexes humanitaires, ils ont même le front de les criminaliser. Les plus cyniques n’hésitent pas à chercher leurs financements dans les États voyous qui jouent avec les flux migratoires. C’est que l’on voudrait nous faire croire qu’un parti dont la survie dépend du bon vouloir de son créancier russe serait capable demain de protéger la France des malheureux que Poutine et Erdogan poussent vers les frontières de l’Europe. Comme l’on voudrait nous faire croire qu’un polémiste, qui ne cache pas son admiration pour les despotes orientaux sera capable de les affronter, pour imposer ce que l’on appelle une régulation des flux migratoires. L’expression elle-même est glaçante, car ces flux sont composés d’êtres humains, que l’on ne saurait considérer comme les molécules d’eau assemblées dans les marées.
Cette manière de parler d’immigration, de migration et de flux migratoires, comme il s’agissait d’une matière menaçante, nous fait perdre notre humanité.
Oh, je n’ignore rien de la cohabitation pénible dans les quartiers populaires, de la délinquance et de la criminalité au sein des populations issues de l’immigration, et moins encore des offensives politiques et religieuses visant à séparer, par le refus des lois de la République et des règles de vie commune, les enfants d’étrangers des Français intégrés.
Mais on ne défendra pas la République Française en détruisant ses fondements, en substituant l’arbitraire à l’État de droit, fondé sur la déclaration des droits de l’homme.
Il est sans nul doute vital de rétablir la sécurité dans les quartiers comme aux frontières de l’Europe. Mais pour paraphraser le général De Gaulle, ce n’est pas en répétant l’immigration, l’immigration, la sécurité, la sécurité, en s’agitant sur sa chaise que l’on stoppera l’immigration et que l’on assurera l’ordre public.
Moins encore en regardant mourir ceux qui échouent aux portes de l’Europe. La régulation de l’immigration passe par le secours humanitaire, sans lequel la France et l’Union Européenne ne pourraient affronter, la tête haute, les États pourvoyeurs de misère, et les organisations criminelles de traite humaine qu’il faut éradiquer.
Quand la crise climatique, pousse déjà des populations à l’exil, s’ajoutant aux autres causes de déracinement, c’est un véritable plan Marshall contre la misère que les pays riches, G7 ou G20 doivent mettre en place. Le repli nationaliste, sur le modèle hongrois ou polonais, ne permet pas de réguler l’immigration, il retarde au contraire la mise en œuvre d’une politique commune. L’imitation de ce modèle périmé serait, pour la France, une catastrophe.
En agitant les frayeurs, en prônant des mesures violentes et impraticables, les politiciens de droite et surtout d’extrême-droite, infantilisent les électeurs et font montre d’un mépris de ce peuple français dont ils parlent tant ! Le peuple français est capable de prendre la mesure de la responsabilité qu’il porte, et ce n’est pas en l’avilissant par la surenchère démagogique qu’on lui donnera les moyens de peser sur un phénomène mondial, car les migrations sont un phénomène mondial qui menace de s’amplifier.
Il serait temps de donner un peu de hauteur au débat politique, et de faire cesser ce concours d’indignité.
Guy Konopnicki
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