Malgré l'Iran et le Covid, les grands sujets politiques n'ont pas disparu de l'espace public israélien. Un thème en particulier occupe les acteurs de la scène politique : celui des relations entre la religion et l'Etat. Le gouvernement de coalition formé par Naftali Bennett et Yaïr Lapid prévoit un certain nombre de réformes, dont certaines sont déjà en cours d'élaboration, comme celle de la cacherout ou celle des conversions au judaïsme, que vient de présenter le ministre des Cultes, Matan Kahana du parti Yamina de Naftali Bennett. Ces réformes visent à briser le statut de monopole du Rabbinat pour permettre à d'autres courants du judaïsme de participer à la vie religieuse, même si le Rabbinat orthodoxe continuera à tenir une position prédominante. Pour certains, ces réformes sont trop timides, comme le pensent notamment les partis laïcs membres de la coalition, Yesh Atid et Israël Beitenou qui annoncent déjà qu'ils vont présenter leur propre proposition de réforme sur les conversions.
Mais ce n'est rien en comparaison de la levée de boucliers chez les principaux rabbins du courant sioniste religieux, au moins aussi opposés au contenu de ces réformes que les rabbins ultra-orthodoxes. Sauf que ce n'est pas pour les mêmes raisons. Pour des personnalités comme le Rav Haïm Druckman, qui cosigne avec une quinzaine de rabbins une lettre ouverte publiée le 1er décembre, "Le gouvernement est en train de préparer des lois qui mettent en péril l'essence de l'Etat et changent son identité" et dénoncent une tentative de faire de l'Etat d'Israël l'Etat de tous ses citoyens. Et ils appellent à une première manifestation la semaine prochaine à Tel Aviv.
Et c'est le cœur du débat : celui de l'opposition entre deux conceptions, celle de l'Etat d'Israël comme l'Etat nation du peuple juif et celle de l'Etat de tous ses citoyens, autrement dit égalité absolue de tous les citoyens, sans considération d'identité nationale ou religieuse. Sur le plan religieux, ces rabbins craignent une sécularisation du pays, qui passerait notamment par l'autorisation des transports publics le Shabbat, mais aussi un judaïsme pluraliste qui donnerait une place et une légitimité institutionnelles aux courants réformés et libéraux. Sur le plan national, c'est l'effacement du caractère juif en tant que nation au profit d'une nation à la française par exemple, qui effraie le courant sioniste religieux, qui y voit justement un abandon du sionisme.
Seulement le courant sioniste religieux est lui-même traversé par des questionnements, liés à l'évolution de la société israélienne et ses réalités concrètes, comme la place des femmes, les droits des LGBT, le statut de centaines de milliers de olim de l'ex-URSS qui ne sont pas reconnus comme juifs, pour ne citer que quelques-uns des enjeux sociétaux israéliens. Le parti Yamina de Naftali Bennett est issu du courant sioniste religieux, comme le parti Sionisme Religieux, qui lui est passé dans l'opposition. Et le parti du Premier ministre doit composer avec les autres formations de la coalition, qui poussent à des réformes plus drastiques. Où finit la modernisation indispensable de certains systèmes dépassés et où commence la dénaturation de l'idéologie sioniste ? C'est toute la question. Et la réponse est loin d'être simple.
Pascale Zonszain
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