La Realpolitik a parfois des expressions inattendues. La déclaration mardi de Mansour Abbas en est une. "Israël est un Etat juif et il le restera. La vraie question est de savoir quel est le statut du citoyen arabe" a affirmé le chef du parti Ra'am. De tels propos de la part d'un élu arabe israélien, de surcroit à la tête d'un parti islamiste a évidemment de quoi surprendre. Ses propos n'ont d'ailleurs pas tardé à déclencher une vague de condamnations et de critiques de la part des autres responsables arabes israéliens et sur les réseaux sociaux. Et d'abord dans son propre camp. Son prédécesseur à la tête du parti islamiste a tenu à préciser que les opinions personnelles de Mansour Abbas n'engageaient que lui. "Notre mouvement et notre parti ne reconnaissent pas l'Etat juif et nous voulons que tous les citoyens soient traités de la même manière, quelle que soit leur appartenance nationale" a affirmé Massoud Ghanem, ajoutant qu'il ne niait pas la réalité mais qu'il ne l'acceptait pas pour autant. Quant au député de la Liste Arabe conjointe Ayman Odeh, qui siège dans l'opposition, il a estimé que son collègue de la majorité avait "touché le fond" en considérant que c'était aux "indigènes à demander l'égalité aux immigrants".
Même refus du côté du Haut comité de suivi des Arabes d'Israël, une des plus influentes organisations de la société arabe israélienne, pour qui le "péché cardinal" de Mansour Abbas et de son parti est d'abord "d'avoir accepté de soutenir le programme politique d'un gouvernement de droite" et considère que sa reconnaissance de l'Etat juif créée un "précédent extrêmement dangereux pour les Arabes d'Israël". Quant à l'Autorité Palestinienne, elle s'est aussi fendue d'un communiqué de condamnation, rappelant que le député islamiste de la Knesset n'avait "pas compétence pour appeler le peuple palestinien à reconnaitre l'Etat juif".
On l'aura compris, les déclarations de Mansour Abbas ont fait plus de remous dans le public arabe que dans le public juif. C'est qu'elles mettent en lumière un certain nombre de questionnements de fond dans la société arabe israélienne, à commencer par celui de la participation au fonctionnement politique national. En se repliant sur des considérations identitaires et en restant figés sur une appartenance nationale palestinienne, les Arabes israéliens s'interdisent de faire progresser par eux-mêmes leur situation socio-économique. C'était d'ailleurs le calcul de Mansour Abbas, qui avait commencé par envisager une alliance avec le Likoud de Benyamin Netanyahou, avant de se rapprocher de la coalition Bennett-Lapid. Un saut idéologique plus facile à effectuer pour les islamistes, qui voient moins le conflit avec Israël comme un conflit national, et pour qui le temps de l'islam n'est pas tributaire du temps politique. Ils peuvent donc faire alliance avec un Etat juif sans remettre en cause leur vision islamique, si cela peut servir leurs intérêts à un moment spécifique.
Toutefois, l'enracinement idéologique national arabe et palestinien est profond dans la société arabe israélienne, comme en témoignent les réactions de rejet, suscitées par les propos de Mansour Abbas. Et il n'est pas certain que le leader du parti islamiste israélien puisse tenir encore longtemps sa position de Realpolitik.
Pascale Zonszain
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