Quand il présente ses vœux, le candidat Zemmour pose devant le buste de Napoléon, coiffé d’une couronne de laurier à la manière des empereurs romains. Quelques jours plus tard, le même candidat se rend en Vendée, où il retrouve Patrick Buisson et Philippe de Villiers, unis dans la défense d’une statue religieuse édifiée sur le domaine public de la ville des Sables d’Olonne et dont le tribunal administratif demande le retrait. En Vendée, Éric Zemmour oublie Napoléon et se garde bien d’aller s’incliner devant sa statue, à la Roche-sur-Yon, ville préfecture que l’empereur fit construire pour marquer la pacification de la Vendée. Bonapartiste à Paris, Zemmour est royaliste en Vendée, où il compte sur le vicomte producteur de grand spectacle pour engranger les suffrages.
En présence de Philippe de Villiers, admirateur des Chouans, dont le dernier chef, Georges Cadoudal, avait juré d’assassiner le Premier Consul, Zemmour n’est plus bonapartiste. Il défend les racines chrétiennes de la France, ce qui ne l’empêche pas d’intégrer à son état-major Jean-Yves Le Gallou, jadis chef de file de la tendance néo-païenne du Front National, fidèle gardien de la mémoire de son beau-père, le Waffen SS Robert Blanc, et ardent défenseur des négationnistes, dont Henri Roques, auteur d’une thèse annulée qui prétendait que le Zyklon B n’était qu’un insecticide.
Le Gallou, en connaissance de cette ignominie, avait présenté Henri Roques à une élection municipale dans les Hauts de Seine. Il est aujourd’hui conseiller d’Éric Zemmour, qui reprend son valeureux combat pour l’abrogation de la loi Pleven par laquelle l’antisémitisme et le racisme ne sont plus des opinions mais des délits.
Promettre l’abrogation de la loi Pleven, adoptée en 1972, à l’unanimité des deux Assemblée et promulguée par le président Georges Pompidou, c’est tout simplement s’engager à légaliser l’antisémitisme. Or, des juifs, légitimement révulsés par l’abandon des poursuites contre l’assassin de Sarah Halimi, écoutent les proclamations sécuritaires de Zemmour, lequel prône l’abandon de la loi qui fait de l’antisémitisme une circonstance aggravante et permet de poursuivre les incitations à la haine raciale ainsi que les falsifications de l’histoire.
Il est vrai qu’en cette matière, Zemmour lui-même est un orfèvre.
Laurent Joly, lui répond, dans un livre qui vient de paraître chez Grasset, Zemmour, la falsification de l’histoire.
Historien de l’Occupation et du régime de Vichy, Laurent Joly fait pièce de la thèse selon laquelle De Gaulle était le glaive de la France quand Pétain en était le bouclier. Thèse dont il rappelle qu’elle fut bricolée par Maître Isorni, avocat de Pétain, lors du procès de l’ancien chef de l’État français, et qui ne résiste pas à l’examen accablant de l’action du gouvernement de Vichy. Action qui commence, par les lois antisémites de 1940, dont Serge Klarsfeld a montré qu’elles avaient été corrigées et aggravées de la main de Pétain.
Zemmour, comme tous les partisans de la réhabilitation de Pétain, se pose en patriote, refusant la thèse de la complicité de Vichy dans la Shoah, thèse qui viendrait seulement de l’historien américain Robert Paxton.
Sans mésestimer le moins du monde l’apport de Paxton, Laurent Joly reprend l’histoire des falsifications et celle du long déni de mémoire. Car, si Pétain et Laval ont bien été condamnés à mort en 1945, et reconnus coupables de la déportation des juifs de France, alors considérée comme l’un des éléments du crime de haute trahison et intelligence avec l’ennemi, les responsables directs des rafles, de l’organisation des camps et des transports, avaient été mis hors de cause. Il a fallu l’action de Serge Klarsfeld pour que l’on juge Papon et que l’on engage enfin, contre Bousquet et Legay, une procédure pour crime contre l’humanité, qu’aucune prescription ne saurait couvrir. L’assassinat de Bousquet et la mort naturelle de Legay n’ont pas permis de mener cette action à terme.
Mais jusqu’à ces actions en justice, nous vivions dans le silence. Certes, il y avait des plaques commémoratives que l’on fleurissait chaque année, mais l’État n’était représenté que par le préfet de service, quelques élus et, au mieux le ministre des anciens combattants. Jusqu’au travail de mémoire, entrepris à l’initiative de Beate et Serge Klarsfeld, et jusqu’au choc constitué par la parution de la France de Vichy, de Robert Paxton, en 1973…
Non seulement la thèse du bon maréchal, protecteur des Français, juifs compris, était couramment admise, mais l’oubli recouvrait hypocritement les persécutions et les rafles.
Le Vel d’hiv n’était pas un lieu de mémoire, on y disputait des courses cyclistes et des matches de boxe. Il servait aussi pour les meetings politiques, si bien que Pierre Poujade, flanqué sur jeune Jean-Marie Le Pen, prononça en 1955, un discours violemment antisémite en ce lieu où l’on avait parqué les juifs lors des rafles de juillet 1942.
Pis encore. En 1958, quelque mois avant la fermeture et la destruction du bâtiment, on donna au Vel d’Hiv un spectacle antisémite, une Passion du Christ, montrant l’affreux peuple juif exigeant sa mort, avec un acteur grimé en juif barbu, qui déclamait une tirade, où l’on apprenait que l’extermination de 6 millions de juifs était le châtiment du crime de leurs ancêtres… Au Vel d’hiv, treize ans après la fin de la guerre, en présence de Mgr Feltin, archevêque de Paris.
Le grand historien Jules Isaac, auteur de nos anciens manuels scolaires, révoqué de sa chaire en Sorbonne en vertu des lois antisémites de Vichy, écrivit au pape pour protester contre ce spectacle. S’il ne fut pas entendu immédiatement, sous Pie XII, Jules Isaac joua un rôle majeur dans l’ouverture, sous le pape Jean XXIII, d’un dialogue qui amena le Vatican à rejeter ses anciens dogmes antisémites.
La mémoire de la Shoah fut un long combat et c’est ce combat que la révision de l’histoire met en cause. Non, le discours de Jacques Chirac au Vel d’Hiv, n’est pas la répétition d’une doxa, imposée par on ne sait quelle « anti France », expression de Maurras reprise par Zemmour, ce discours est l’aboutissement de longues années de combats, associés aux recherches historiques et au dialogue au sein des institutions de la République.
Le livre de Laurent Joly retrace ce cheminement, par lequel la France retrouva sa mémoire et sa dignité.
La dignité de la France est atteinte, quand on piétine la mémoire des juifs traqués, arrêtés et livrés aux bourreaux nazis par le gouvernement du Maréchal Pétain. Surtout quand on piétine cette mémoire pour des raisons de basse politique, pour rassembler la canaille antisémite, en s’entourant de tous les chevaux de retour de l’extrême droite.
Guy Konopnicki
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