"Vous me voyez debout devant vous mais j'ai mon corps et mon cerveau qui ne sont plus comme autrefois. On peut se contredire, surtout dans un dossier vaste comme celui-là." C’est la dernière phrase qu’aura prononcée cet accusé interrogé hier (mercredi) pendant encore 6 heures soumis au feu des questions de la cour. Cette fois Mohamed Abrini est moins loquace, moins facile dans son expression qu’hier lorsqu’on le questionnait sur son rapport à la religion , autrement sa radicalisation furieuse et réitérée. Car ce jeudi, ce sont sur des faits précis qu’il devait répondre et là, l’individu a été très vague.
Du 23 juin au 9 juillet 2015, peu après sa sortie de prison, Mohamed Abrini s'est rendu en Syrie via la Turquie. "Pourquoi ? Qu'avez-vous fait sur place? Qui y avez-vous rencontré ?", interroge la cour d'assises spéciale présidée par Jean-Louis Périès.
Debout dans le box, vêtu d'un pull bleu, "l'homme au chapeau" des attentats de Bruxelles en mars 2016 explique que son départ en Syrie n'était motivé que par son désir de se recueillir sur la tombe de son "petit frère" Souleymane, tué en Syrie en septembre 2014 où il était parti combattre auprès d'Abdelhamid Abaaoud, le futur chef opérationnel des commandos du 13-Novembre.
Qui était au courant de votre départ ?, demande M. Périès. "Ce n'est pas le genre de chose que l'on crie sur tous les toits", répond froidement le Belge de 37 ans.
"Vous me demandez : qui vous a accompagné? Pour moi, c'est des détails. Quand on a traversé ce que j'ai traversé, ça compte pas en fait."
Abrini reconnait l’essentiel des faits qui lui sont reprochés mais il ne s’embarrasse pas des "détails" comme il les qualifie à plusieurs reprises. Comme l'organisation de son séjour en Syrie, ce qu'il y fait, ceux qui l'y aident ou qu'il y rencontre. Lorsque la première assesseure reprend les listes de ses appels téléphoniques de cet été 2015, il coupe court: "Écoutez madame, vous pouvez me poser de milliers de questions sur des détails comme ça, je ne saurai pas vous répondre."
A Raqqa, la "capitale" de l'EI, Mohamed Abrini dit avoir séjourné dans un appartement qu'il partageait avec Najim Laachraoui, considéré comme l'artificier de l'EI. Il précise n'avoir pratiquement eu aucun échange avec son colocataire, mort lors des attentats de Bruxelles en mars 2016.
"Avez-vous bénéficié sur place d'une formation religieuse ou militaire ?," demande la juge. "Non, je ne suis resté que neuf jours, pas un an". Quand les questions se font plus précises, Mohamed Abrini répond ne pas se souvenir. "Je ne saurais vous dire"
Via un passeur après être allé "dans une sorte d’entrepôt abandonné avec peut-être 50 personnes", puis "on traverse un champs, il y a des voitures et ça roule pendant une heure à peu près". Une fois arrivé au sein de l’État islamique, Mohamed Abrini se recommande d’Abdelhamid Abaaoud, futur coordonnateur des commandos du 13 novembre 2015 mais aussi son ami d’enfance. Il le retrouve à Raqqa, avant d’aller se recueillir sur la tombe de son petit frère à Deir-ez-Zor, la raison de son voyage, selon lui. "Je n’ai pas combattu en Syrie, je n’ai pas pris les armes", jure Mohamed Abrini. "Abdelhamid Abaaoud vous a proposé l'intégration dans l'État islamique en Syrie ?", l’interroge le président. - "Vous avez refusé et il n'a pas insisté?" - "Il m'a demandé d'aller récupérer de l'argent en Angleterre."
Autour de 10.000 euros, pensent les enquêteurs. 3.000 pounds, admet l’accusé, "mais si votre inquiétude c'est de savoir si cet argent a servi pour les attentats, la réponse est non."
"Finalement, l'argent vous l'avez gardé pour vous?" - "Voilà, c'est ça", Mohamed Abrini sourit derrière son masque. Mais ne répond pas. Le président demande : "Les enquêteurs belges ont retrouvé un document avec trois numéros turcs et deux numéros anglais." "Je ne sais pas, c'est un détail. Je comprends que pour vous c'est capital, mais pour moi c'est insignifiant". "Même si je l'ai dit dans une audition … quand vous êtes entendus dans une affaire de terrorisme, vous êtes sorti du lit, sans avoir le temps de vous doucher ou d’aller aux toilettes, vous vous retrouvez dans une voiture, pieds et poings liés, masque sur la tête, du heavy metal à fond dans les oreilles."
Abrini a encore fustigé maitre Maktouf des parties civiles en lui demandant si elle n’avait pas Alzheimer. D’abord le radicalisé ne supporte pas que cette femme musulmane ose lui poser des questions, il ne veut pas répondre à cette apostate mais cela n’empêche pas l’avocate de les lui poser.
À son retour d’Angleterre, Mohamed Abrini est passé par Paris pour rentrer à Bruxelles. "J'entends derrière votre question : "Qu'est-ce qu'il est venu faire à Paris?" Mais c'est de la paranoïa”! (Humour terroriste "On vous reproche d’être allé à Paris pour chercher des cibles", lui dit son avocat, Me Stanislas Eskenazi.
Mohamed Abrini s’embrouille mais ment-il aussi ? "Hier, vous nous avez dit que l’islam n’était pas compatible avec la démocratie. Et avec la justice? Vous vous sentez tenu de dire la vérité ici?", l’interroge Maitre Chemla, un avocat de parties civiles. Mohamed Abrini fatigue: "Vous savez, j'ai rien à perdre. Je vais sûrement prendre perpétuité. Après, j'ai un procès en Belgique où je vais sûrement prendre perpétuité aussi. Pourquoi je vous mentirais?"
Michel Zerbib
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