Quelle part d’humanité reste-t-il chez certains accusés, jugés pour avoir participé aux attentats du 13 novembre 2015, qui ont fait 131 morts et plus de 400 blessés Ne sont-ils plus que des individus sanguinaires et meurtriers ? Délicate question qu’a soulevée ce jeudi la défense d’Osama Krayem, en faisant citer à la barre un professeur qui a donné à l’accusé suédois de 29 ans des cours de français et mathématiques, en détention, durant plus de quatre ans. "Je l’ai rencontré 175 fois", raconte ce sexagénaire belge. Le professeur bénévole évoque un élève au "tempérament constant, équilibré".
Il prend quelques secondes pour dire ce qui va suivre. "Abstraction faite des choses horribles qu’il a commises, on peut dire qu’il s’agit de quelqu’un qui a beaucoup d’humanité." Énorme !
Dans les rangs des parties civiles, on entend des murmures et c’est plutôt tragi-comique. Tous ceux qui assistent au procès ont encore en mémoire la vidéo faite par Daesh montrant, en janvier 2015, l’atroce exécution d’un pilote jordanien. Ce dernier, enfermé dans une cage est brulé vif par des djihadistes Or, parmi eux se trouvait Osama Krayem.
Durant le procès, Krayem ne s’est jamais exprimé sur sa participation au groupe État islamique qu’il a rejoint en 2014. Ce jeudi, il a refusé de répondre à toutes les questions, comme il l’avait fait savoir la semaine dernière. Le président de la cour d’assises, Jean-Louis Périès, a donc lu des extraits des déclarations qu’Osama Krayem a tenues durant l’instruction.
"Il ressort de tous ces échanges avec les juges que vous avez participé à des combats, au sein d’unités d’élite de l’État islamique. On peut d’ailleurs se demander à quel niveau hiérarchique de Daech vous étiez monté."
Alors forcément, parler d’humanité au sujet d’un tel accusé, qui sera également jugé pour les attentats de Bruxelles le 22 mars 2016, a pu heurter plus d’une victime. Le professeur bénévole ne cache d’ailleurs pas qu’avec ce qu’il savait sur son élève, il s’est demandé s’il devait continuer à lui donner des cours : "Pour ma part, j’ai finalement renoncé à le considérer comme un barbare. C’est la seule voie ouverte vers l’avenir", a-t-il conclu.
Me Gérard Chemla, avocat de nombreuses parties civiles, doute de l’humanité d’un tel accusé : "Il n’y a pas un acte unique. Son engagement s’étend dans le temps avec des actes inhumains. Moi, j’ai tendance à considérer que lorsqu’on ne se pose plus de questions sur ce que l’on fait aux autres hommes, on quitte l’humanité. Alors, selon vous, quelles sont ses parcelles d’humanité ?"
Mais le professeur bénévole répète : "Il a en lui cette capacité d’humanité." Certains sur le banc des journalistes y croient. C’est pénible. Me Gisèle Stuyck, une des deux avocates d’Osama Krayem, répond : "Si les personnes mises en cause étaient déshumanisées, les choses seraient simples. La question est plutôt : comment des êtres humains ont pu en arriver là ?"
Krayem, 29 ans, est en fait celui des quatorze accusés qui présente le profil le plus inquiétant. Il encourt la perpétuité pour son implication présumée dans l’organisation des attentats du 13 novembre 2015. Un autre procès l’attend à Bruxelles pour son rôle supposé dans les tueries de mars 2016 en Belgique. Enfin, il pourrait se voir à terme poursuivi dans son pays natal pour crimes contre l’humanité.
Selon l’accusation, Osama Krayem, qui a rejoint la Syrie en août 2014, est apparemment monté en grade très rapidement au sein de l’État islamique. Combattant dans une unité d’élite, M. Krayem avait en avril 2015, partagé un logement avec Mohammed al-Adnani, numéro deux de Daech et chef des opérations extérieures… Pour le ministère public, le «figurant» était en réalité un cadre supérieur de l’État islamique, formé pour revenir semer la mort en Europe.
Le président a retracé l’itinéraire de celui qui dit avoir été touché par la foi la veille du ramadan, en 2011 ou 2012. Il a déclaré aux enquêteurs: «Je suis un soldat de Daech, j’adhère à sa philosophie de manière inconditionnelle même si je ne cautionne pas certains actes » - notamment les attentats mais Krayem reste dans l’ambiguité
La réduction de femmes en esclavage? «Si l’islam dit que ça se fait, je suis pour, sinon je suis contre.»Les caricatures de Mahomet: «La sanction pour celui qui se moque du Prophète, c’est la mort.» Le président: «Voilà qui a le mérite d’être clair. Vous semblez approuver l’attentat contre Charlie…» Le djihad? «Tuer les mécréants ne constitue pas la base de l’islam. S’il n’y a pas d’agression au départ, il n’y a pas d’attentats en Europe. L’islam, c’est la paix et la miséricorde.» Humour djihadiste …
Alors oui le calme d’Osama Krayem est effrayant. Son silence lui-même est glaçant: le silence de la mort.
Michel Zerbib
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